2020 M10 23
Depuis le 30 janvier, date de la sortie de Momentary Bliss en collaboration avec le rappeur Slowthai et Slaves (l’un des meilleurs titres du disque), Gorillaz joue un peu avec nos nerfs. Le groupe composé de Damon Albarn et Jamie Hewlett est longtemps resté mystérieux sur le projet, dévoilant les nouveaux morceaux au compte-gouttes. Au total, avant l’annonce officielle de l’album « Song Machine, Season One: Strange Timez », huit titres s’étaient déjà échappés, avec pléthore d’invités qui donnent le sourire : Robert Smith qui brise en même temps une longue période d’abstention, Elton John ou encore Peter Hook, le glacial bassiste anglais.
Mais là où l’on attend aussi Gorillaz, c’est dans leur capacité à s’adapter à tous les styles musicaux et à créer des ponts entre les musiques. D’où la présence pas si surprenante de Fatoumata Diawara, mais aussi d’Octavian, Skepta ou bien Schoolboy Q. Certains ont cependant refusé, comme Morrissey ou Tom Waits, mais l’important est ailleurs.
On peut s’accorder sur un point : il y a peu de chance que Gorillaz ponde un album aussi marquant que « Demon Dayz », et ce pour un tas de raisons différentes. Mais on peut aussi dire que malgré le succès, les tournées, leur nom en haut des affiches, l’envie d’expérimenter, de sortir de leur zone de confort et de faire évoluer les musiques (oui, au pluriel !) prédominent dans la démarche des deux zigotos. En ce sens, « Song Machine, Season One: Strange Timez » n’est ni plus ni moins qu’un manifeste musical en 2020. Un manifeste qui a pris forme durant une épidémie mondiale fusionnant aussi bien la trap que les musiques dites noires, la pop et la new wave par le biais des machines et de la technologie - un thème toujours présent chez Gorillaz et dans la carrière solo de Damon.
Cette vision qui s'étend et s’entend au sein même de la structure de certains morceaux est le fer de lance de Gorillaz. Par exemple, sur Momentary Bliss, les couplets virulents viennent s’accouder contre un refrain (« We could do so much better than this ») très doux. Le rappeur londonien Octavian se retrouve lui aussi sur une prod’ très vaporeuse et calme, loin de son univers hybride entre le grime et la trap.
Là où Gorillaz est fort, c’est dans l’appropriation du style de l’artiste avec lequel il collabore, tout en y ajoutant de l’épaisseur et de la texture. Si la basse de Peter Hook est reconnaissable à des milliers de kilomètres, Aries n’est ni un hommage ni une reprise, mais un morceau qui réunit deux mondes pour n’en créer qu’un seul. The Valley Of The Pagans, avec l’Américain Beck, se repose sur les même fondations : chacun y dévoile son « univers » pour finir par ne faire qu’un. Et ça donne un morceau totalement barré mais équilibré, qui brouille les pistes sans vous larguer. Même si pour Gorillaz, ce sont simplement « des idées ridicules que nous voulons réaliser » (sic), comme ils le précisent aux Inrocks, le résultat est quant à lui loin de l’être. Peut-être même que la légèreté avec laquelle Damon et Jamie abordent Gorillaz permet justement ces extravagances et ce « lâcher prise ».
Si le nom de certains artistes claquent (Elton John, Beck, Robert Smith, St. Vincent), l’attente fatalement haute sur certaines de ces collaborations finissent par décevoir. L’apport d’Elton John sur The Pink Phantom est loin d’être étincelante. Le titre avec St. Vincent, qui n’avait pas encore été dévoilé, manque de peps et se fond dans la masse sans briller. Par contre, les morceaux avec Octavian, Moonchild Sanelly ou encore Slowthai, que l’on attendait moins, sont les plus aboutis, et peut-être aussi les plus actuels puisqu'ils marchent sur des sentiers moins battus en apportant la nouveauté et la fraîcheur necessaire à un disque tel que « Song Machine, Season One: Strange Timez ».
Cet album est une preuve de plus que Gorillaz, de Bamako à Londres en passant par New York, peut évoluer dans tous les milieux sans se sentir dépassé ou à côté de la plaque. « Song Machine, Season One: Strange Timez » est un disque dans lequel on va piocher dans le meilleur, en retenant les collaborations les plus réussies pour délaisser celles moins mémorables. L’album vient conforter l’idée qu’en 2020, les codes sont en train de se casser, que les barrières entre les styles sont en train de s’effondrer et que les univers se croisent et s’entrelacent dans un joyeux bordel. Mais un bordel qui définit la musique d’aujourd’hui.