2019 M11 27
« Tiens mais au fait, elle devient quoi Tina Turner ? » Comme avec tous les vieux encore en vie (Stevie Wonder, Neil Young, etc), il arrive qu’on se pose la question, sans trop y penser. Et puis il arrive que certains évènements, comme l’anniversaire miraculeux de « The Queen of Rock 'n' Roll », aident à remettre les pendules à l’heure : non seulement Tiner Turner est encore vivante, mais elle va bien. Et son héritage est immense.
To celebrate turning 80 years old, Tina has recorded a special birthday video message just for her fans.💜 #Tina80 pic.twitter.com/dUFEUawQ7r
— TinaTurner (@LoveTinaTurner) November 26, 2019
Emancipée à une époque où les femmes étaient dans le meilleur des cas considérées comme des chanteuses interchangeables, « libérée délivrée » du joug masculin après avoir claqué la porte de son duo avec son mari violent Ike Tuner, Tina a tout connu ou presque. Toujours debout à 80 berges, celle qui s’est récemment exprimée sur Twitter pour s’étonner elle-même d’être encore là a quelques leçons à donner aux nouvelles générations. Rembobinons.
Dès le début, c’était pas gagné. Le 26 novembre 1939, la Seconde Guerre mondiale vient de débuter et les États-Unis inventent une bombe : elle s’appelle Tina Turner. Le plus drôle dans tout ça est qu’elle va mettre du temps à exploser. Née dans le Tennessee à une époque où la télé est encore rare et en noir et blanc, cinquante ans avant l’invention d’internet, la jeune Anna Mae Bullock possède une vie digne d’un biopic – elle y aura droit en 1993 avec Tina et Angela Bassett dans son rôle. Son père, ouvrier alcoolique avec la facheuse tendance à frapper tout le monde, l’abandonne elle, sa sœur et sa mère ; cette dernière abandonnant aussi ses filles à son tour pendant quelques mois. La gamine trouvera refuge dans le gospel et sans dire qu’elle y ait trouvé la foi, elle y a au moins trouvé une profession : elle sera chanteuse.
Repérée à Saint-Louis alors qu’elle n’est même pas majeure par un certain Ike Turner – à qui l’on doit le premier titre du rock, Rocket 88, publié en 1951 – elle s’embarque avec les Ikettes, soit les choristes de Ike. Il la renomme Tina au début des années 1960, la fait passer au micro, lui donne son nom et, une fois tout ce lifting effectué, l’épouse au Mexique avec une cérémonie qui se finira – dixit – “dans un bordel”. Effectivement, on a connu des débuts plus tranquilles. Mais le tube River Deep Mountain High n’est pas loin.
Arrivé au milieu des années 1960, le duo Ike & Tina, désormais mariés, cartonne. Il cartonne tellement que le plus grand producteur de l’époque, Phil Spector, va jeter son dévolu sur cette grande panthère noire qui chante comme un 33 tonnes branché sur 220 volts. Débauche d’énergie, meilleurs musiciens de l’époque, production typique du “wall of sound” de Spector avec instruments doublés (voire plus), le titre est un immense succès et la légende raconte qu’il serait rien de moins que le 45 tours le plus cher de l’histoire.
Pour Tina, ce sera autant une couronne qu’un boulet ; chaque tube avec Ike l’emprisonne dans un couple toxique où elle se fait tabasser en coulisse par un mari à la fois jaloux, incontrôlable et complètement ingérable. C’est le début d’une longue spirale dans l’enfer additictif des années 1970 avec cocaine et début du déclin – Tina a 35 ans, autant dire une mamie dans l’industrie jeuniste de la pop culture. Plus tard, Tina révèlera que les emmerdes avec Ike Turner ont commencé quand elle a refusé de prendre son nom, au début des années 1960. Mais il lui faudra attendre 16 ans pour parvenir à se libérer de l’emprise du fou furieux. Ça se passera à Dallas en 1976, avant un concert. Si Tina réussit enfin à s’affranchir de son mari, c’est avec seulement 36 cents et une carte de station-service en poche.
Popstar à 44 ans. Arrivée à ce stade de sa propre histoire, Tina Turner n’avait à priori pas franchement le vent dans le dos. Mais c’est là toute la beauté de cette histoire : c’est dans sa quarantaine que la chanteuse à perruques abusées va devenir la plus célèbre. D’abord en rotation sur MTV comme l’une des premières artistes noires grâce à son album le plus vendu (“Private dancer”, 1984), Tina rajeunit avec le titre What’s love got to do with it. Et puis il y a ses apparitions hallucinantes en reine du désert dans Mad Max en 1985, sans compter son autre tube We Don't Need Another Hero qui rappelle à tout le monde que Tina a du coffre. Tina a alors 44 ans, et c’est une résurrection inespérée pour celle qui va devenir l’incarnation de la survivance, mais aussi de la femme des années 1980 dont parlait Sardou dans la chanson éponyme...
À une époque où il ne suffisait pas de déclarer la guerre à son ancien manager par comptes Twitter interposés pour être déclarée « rebelle » (hello, Taylor Swift), Tina a dû se battre, pour de vrai, contre à peu près tout le monde : son mari violent (Ike Turner), la société (encore empêtrée dans la ségrégation raciale) et la dictature de la jeunesse qui stipule qu’une femme vieille n’a plus sa place dans le circuit. Pour ça, Tina a pu compter sur son plus grand fan, David Bowie, qui déclarera en 1983 en arrivant à New York pour la promo de Let’s dance qu’elle était sa chanteuse préférée. Elle lui rendra hommage le même soir en reprenant Cat People. Les deux, tout au long des eighties, ne se quitteront plus.
The Survivor. Quoi de neuf depuis ? Oh, pas grand-chose. Les ados des années 1990 l’ont redecouverte dans Last Action Hero avec Arnold Schwarzenegger, et puis Tina est partie se reposer en Suisse où elle vit encore aujourd’hui après avoir eu un AVC en 2013 ; a combattu un cancer de l'intestin en 2016 et a subi une greffe de rein en 2017. Même après tout ça, Tina garde le sourire : elle a récemment déclaré qu’avoir 80 ans était en quelque sorte « une deuxième vie ». Quand on sait qu’un spectacle basé sur sa vie vient d’être lancé à Broadway, on peut ainsi conclure que Tina n’est pas encore prête à turner la page.