2021 M08 31
En général, quand il est question "d'un.e artiste indépendant.e", on parle d'artistes signés sur de petits labels et tous destinés à en rejoindre de plus gros, une fois le premier succès venu. Rarement, ces derniers font le chemin inverse. Et c'est ce qui précisément marque dans la trajectoire atypique d'Yseult, presque devenue un cas d'école pour celles et ceux qui souhaiteraient se lancer envers et contre tous dans le music business.
Signée chez Polydor - une grosse maison de disques, donc - pour un premier album sorti voilà déjà 6 ans (!) et écoulé sous le manteau à seulement 4000 exemplaires, Yseult commence par ronger son frein et envisage dans un premier temps de faire comme tous les autres chanteurs pas encore tendance : c'est-à-dire manger des cailloux, ne pas vivre de sa musique et, pire que ça, écrire pour des artistes plus connus qu'elle, comme Chimène Badi ou Jenifer. Condamnée à "placer ses morceaux" pour payer ses factures et rembourser l'avance faite par le label pour son premier album, la Française est alors touchée par un déclic : pourquoi ne pas s'offrir à elle ce qu'elle vend aux autres ? La génèse de Y.Y.Y., son propre label lancée en 2019 avec le single Rien à prouver, est là.
Ruinée par l'avance de son label - sacré paradoxe - Yseult est à moins 6000 € sur son compte en banque quand elle écrit finalement Rien à prouver, à un arrêt de bus. Le titre sonnera comme un cri de rebellion contre le système, et lui donnera les ailes nécessaires pour voler toute seule, quitte à être partout à la fois.
Depuis, les EP "Noir", "Rouge" et "Brut" ont été publiés sur son label Y.Y.Y. (trois fois plus d'Yseult, en gros), en partenariat avec le distributeur Naïve. Mais qu'on ne s'y trompe pas : Yseult est partout. Négocation des contrats, deals avec les marques (comme récemment avec L'Oréal dont elle est devenue l'égérie), comptabilité, discussion avec les programmateurs en radio, embauche des salariés travaillant pour elle, la musicienne ose ce que peu avant elle ont osé, à savoir vraiment prendre leur destin en main, et tant pis s'il faut pour ça endosser le costume de Super(wo)man.
« Je pense qu'un artiste aujourd'hui doit être indépendant, doit s'appartenir. »
Bien sûr, les exemples d'artistes français vraiment indépendants ne manquent pas dans l'industrie française. Les plus connus, récemment, sont les frères de PNL, ou encore Pomme avec sa société d'édition qui lui permet de gérer directement une partie de ses droits.
Mais si l'exemple d'Yseult s'avère marquant, c'est parce que cette dernière ne semble avoir aucune difficulté à assumer son omniprésence sur tous les fronts en témoignant ouvertement, peut-être parce qu'elle a mal vécu, comme les rockeurs de Last Train avant elle, son passage par la case major. "Je pense qu'un artiste aujourd'hui doit être indépendant, doit s'appartenir" expliquait-elle voilà un an à NRJ. "C'est nous qui créons la matière première, et il y a tellement d'artistes qui se font tellement bouffer et qui se font tellement réduire en miettes [...] que j'avoue que je ne voulais plus en faire partie".
Le pari semble à ce stade réussi, puisque 2021 est bien parti pour être son année - comme 2020 fut l'année de Clara Luciani. Avec sa structure Y.Y.Y., Yseult ne s'occupe que d'elle. Du moins pour l'instant. Mais celle qui avoue "ne faire confiance à personne" pourrait bien, une fois arrivée tout là-haut, s'occuper des délaissés du système musical, de celles et ceux qui ne rentrent dans aucune case mais qui, comme Eddy de Pretto, Camélia Jordana ou Pomme, sont finalement assez forts pour toutes les remplir d'un coup.
Quant à la principale intéressée, elle ne semble pour l'heure nullement impactée par cette hyperactivité permanente. Certains diront que c'est une femme moderne; d'autres répondront que c'est simplement une artiste de son époque, à la fois plus polyvalente et moins naïve que celles et ceux qui l'ont précédés.