2023 M10 11
En 2021, qu’est-ce qui déclenche l’envie de créer Safer ?
Justine Noel : C’est un dispositif qui est sorti de terre au moment du Covid, à une époque où, faute d’évènement, l'équipe de Marsatac a pu prendre le temps de trouver différentes façons d'accueillir toujours mieux notre public, aussi bien d’un point de vue social qu’environnemental. Étant donné que l’association Consentis venait de mener une étude sur les violences sexistes et sexuelles dans les milieux festifs, ça nous paraissait primordial de mettre en place un dispositif capable de lutter contre ces dites violences. Depuis, Safer se présente aussi bien comme une équipe sensibilisée et prête à intervenir sur place le temps d'un événement que comme une application où l’utilisation anonyme rend visible les violences et permet à nos bénévoles d'intervenir le plus rapidement possible.
Combien êtes-vous chez Safer ?
Justine Noel : Il y a deux chargées de production, une personne à la communication, une responsable de projet - moi, donc - et une créatrice de contenus. Hélas, on n'a pas les moyens d'être présentes sur tous les festivals, mais on fait en sorte de se déployer sur de nouveaux évènements afin de sensibiliser les bénévoles. Quitte à être présentes sur deux festivals un même week-end… Heureusement, on a la chance de pouvoir s'appuyer sur de plus en plus de référents et de référentes dans un certain nombre de festivals, ce qui nous permet d'installer le dispositif sur les festivals qui nous sollicitent pour la première fois, et donc de laisser les « habitués » se débrouiller en totale autonomie grâce à des bénévoles sensibilisés par notre équipe au préalable.
En 2020, le Centre National de la Musiuqe s’est engagé à imposer aux organisateurs d’évènements festifs à être formés sur les questions de violences sexuelles et sexistes...
Justine Noel : Le CNM est évidemment une aide essentielle dans la lutte contre ces violences, qui sont un sujet primordial au sein d’une industrie où les femmes sont encore minorisées, réduites à leur genre. Quant à nous, ça nous a permis de grandir bien plus vite que ce que l’on aurait pu penser. Aujourd’hui, 122 festivals ont utilisé notre dispositif, ce qui est incroyable quand on sait que l’on ne démarche pas : on est une association de biens communs, en aucun cas une start-up. Une fois la prise de contact établie, on prend le temps de faire des réunions, d’établir un état des lieux et de s’organiser en fonction de l’évènement, selon notre connaissance ou non du territoire concerné.
« Notre avantage, finalement, c'est d'être présent dans une époque où les gens parlent, dans la droite lignée du mouvement #MeToo. »
À lire les statistiques relayées par Safer, 50% des femmes interrogées ont déjà été victimes de violences sexuelles ou se sont senties en insécurité dans un lieu festival, tandis que 41% d'entre elles ont déclaré s'être déjà faites agresser sexuellement dans un lieu festif. Les chiffres sont incroyablement élevés...
Justine Noel : Le pire, c'est que cela ne concerne qu'un échantillon de personnes. Il y a très certainement encore un tas d'histoires que l'on ne connaît pas, des témoignages que l'on ne récolte pas. De notre côté, on a hâte d'avoir les chiffres de 2023 pour pouvoir faire un bilan de nos premières années, comprendre à quel point Safer permet de sensibiliser, de réduire les violences ou de libérer la parole. Notre avantage, finalement, c'est d'être présent au sein d'une époque où les gens parlent, dans la droite lignée du mouvement #MeToo.
Il y a 20 ans, ces dispositifs n'existaient pas, donc personne ne se posait la question. Aujourd'hui, à Marseille, des gens ont déjà appelé à boycotter des évènements qui ne s’inscrivent pas dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes . C'est bon signe.
Cette année, un évènement comme le Hellfest a été pointé du doigt pour les violences sexistes et sexuelles qui se sont déroulées sur le site du festival. Cherchez-vous à entrer en contact avec l’organisation afin de mettre en place des actions sur place lors des prochaines éditions ?
Justine Noel : Pour tout dire, on était présent en 2022, mais l’équipe ne voulait pas que l’on soit là physiquement… Évidemment, on en a vite compris les raisons : l’organisation voulait garder le contrôle sur son propre dispositif, qui ne répond pas aux valeurs de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Chez Safer, on a vite compris que l’on était leur caution, mais qu’ils n’avaient aucunement envie de défendre les mêmes valeurs que nous. D'ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’on n’a pas été renouvelé cette année….
Cette année, Safer a été présent dans des festivals aussi diversifiés que le Name ou le Nancy Jazz Pulsation : as-tu remarqué des types de comportement caractéristiques d’une scène musicale, d’un territoire, etc ?
Disons que l’on a affaire à des typologies d’agressions différentes. Tout cela répond bien évidemment à quelques stéréotypes, mais dans le jazz, par exemple, le public a tendance à être plus âgé, plus bourgeois et essentiellement masculin. Ce que l’on retrouve alors, ce sont des propos sexistes d’hommes cisgenres de 40 ans qui ne se rendent pas compte des énormités qu’ils sortent. Dans l’électro, en revanche, on aura davantage affaire à des frotteurs, à des personnes désinhibées (ou des gros lourds, c’est selon !) qui profitent de la nuit, de l’alcool et des substances pour créer une proximité non désirée.
Au MaMA, on est encore sur une autre typologie de festival, non ?
Justine Noel : C'est un festival destiné aux professionnels, donc on y déploie avant tout notre dispositif pour parler du projet, rencontrer celles et ceux que l’on a accompagné pour dresser un bilan, etc. C’est un temps d’échange. L'idée, sur le long terme, c'est d'être encore plus nombreux et nombreuses afin de pouvoir être présent sur les festivals où il est possible de camper. Là, les festivaliers sont ensemble 24/24h, dans des états où les gens n’ont pas conscience de tout…Le risque d'agression y est donc beaucoup plus élevé.
Pour en savoir plus sur Safer, c'est sur le site officiel.