Rencontre avec slowthai, le rappeur anglais qui veut décapiter Boris Johnson

« Nothing Great About Britain » était une charge violente adressée au Royaume-Uni, passée à deux doigts d'être récompensée d'un Mercury Prize. « TYRON » se veut plus autobiographique, mais confirme l'immense talent de slowthai, capable de réunir un casting de choix (A$AP Rocky, Skepta, Denzel Curry, James Blake) tout en restant le fier représentant de la working-class britannique. Quelques semaines avant la sortie du nouvel album, on lui a passé un coup de fil.
  • Je sais que tu es proche de ta mère et de ta sœur, tu en parles souvent dans tes morceaux. Elles t’ont très vite encouragé à entamer une carrière dans la musique ?

    Oui, franchement, ma mère a toujours cru en moi. Elle n’avait que 16 ans quand elle m’a eu, ce qui est très jeune. Mais elle a toujours été présente, elle a toujours travaillé d’arrache-pied et toujours tout fait pour que je crois en mes capacités. Par exemple, au moment de la sortie de MAZZA, on était tous les deux dans son salon à regarder le clip : elle était toute excitée.

    À quoi ressemblait ton enfance à Northampton ?

    C’est triste, mais j’ai presque envie de dire que mon histoire est très classique pour quelqu’un qui a grandi dans les projects, ces grands ensembles où les gens sont entassés les uns sur les autres : je séchais l’école ou y allais uniquement pour rire, mon beau-père était un mec violent, j’avais une certaine tendance à vouloir parler plus fort que les autres, je trainais dans le quartier tout en rêvant de devenir pâtissier et de découvrir de nouvelles cultures. Il y avait des hauts et des bas, comme tout le monde, mais je garde un très bon souvenir de cette période. Sans toutes ces expériences, je ne serais pas l’homme que je suis aujourd’hui.

    Northampton Child, placé en conclusion de ton premier album, est sans doute le titre le plus autobiographique de ta courte discographie. « TYRON » est à entendre comme un prolongement de ce morceau ? Dans le sens où il porte ton prénom…

    Pour tout dire, je voulais que mon troisième album porte mon prénom. À la base, mon deuxième disque devait être plus fictif, raconter quelque chose de très narratif, un peu comme dans un film, ou à la manière de ce que faisait David Bowie, que j’aime beaucoup. L’inspiration en a voulu autrement, le confinement m’a poussé à faire mon introspection, et c’est peut-être pour le mieux. « TYRON » est sans doute plus personnel que « Nothing Great About Britain », mais il est surtout question de là où j’ai grandi, de comment j’étais à l’adolescence, d’entamer un dialogue entre les différentes périodes de ma vie. Il est moins basé sur ce que je vois, davantage sur ce qui est en moi.

    Il y a une différence entre slowthai et Tyron ? J’ai l’impression que tu es plus timide et réservé que ne l’est ton alter-ego artistique.

    Disons que slowthai est une version exacerbée de moi-même, le genre de personnage qui ne s’excuse de rien, qui rentre dans le lard. C’est un rôle, dans lequel je prend de plus en plus de plaisir à tout tenter, à tout dire. C’est aussi pour ça que mon deuxième album se nomme « TYRON » : c’est important que les gens apprennent à me connaître. J’ai envie qu’ils me voient comme je suis réellement, qu’ils comprennent que je ne suis pas juste un mec constamment à la recherche de la confrontation. « TYRON », c’est juste une façon de raconter l’histoire d’un être humain qui tente de survivre dans ce monde et de se faire entendre.

    Dans quelles conditions as-tu enregistré ce deuxième album ?

    « TYRON » a été réalisé dans plusieurs endroits différents. La première chanson de l’album a été enregistrée à Los Angeles, alors que j’étais complétement défoncé. D’autres morceaux sont nés à Londres, New York ou dans mon studio à Northampton. La vérité, c’est que de nombreuses opportunités se présentent à moi, je ne vais pas m’en priver. Si une situation m’inspire, je fonce !

    Es-tu du genre à t'inspirer également d'autres artistes ?

    Pas vraiment. Je préfère faire confiance aux idées qui me viennent en tête lorsque je me réveille plutôt que d’analyser ce qu’il se passe au sein de l’actualité musicale. Cela dit, je pense qu’on peut ressentir l’influence de Jay-Z sur ce disque, ne serait-ce que dans le flow ou le choix des mots. Après, comme je te le disais, j'aime beaucoup des artistes comme Bowie, Alex Turner, Thom Yorke ou Elliott Smith, même si je ne pense pas que ça se ressent dans ma musique.

    Deux ans séparent « Nothing Great About Britain » de « TYRON ». Beaucoup de choses ont changé entretemps, d’un point de vue politique, sanitaire ou social. Tu penses que ça a pu affecter ou influencer l’ambiance de ce nouvel album ?

    L’évolution du monde a forcément une influence sur ce que l’on écrit. Le virus, le confinement, le gouvernement qui injecte de l'argent dans la réarmement alors que tout s'écroule autour de nous : tout cela constitue une ressource non négligeable d’idées pour de nouveaux morceaux. Cela dit, je pense être moins en colère qu'il y a quelques mois, donc c'est sans doute plus facile pour moi d'écrire des chansons plus douces, qui parlent davantage de problèmes intimes que des décisions politiques que l'on sait d’office pourries.

    Penses-tu que tu représentes encore la working class en Angleterre ?

    C’est ce que je ressens quand je parle aux gens, qu’ils aiment ma musique ou non. J’aurais toujours ce background, je continuerai toujours de parler de mon expérience et de ce que j’ai vécu étant jeune. Je suppose donc que je serai toujours une voix pour leur permettre de faire entendre leur cri de colère. Ce sont mes gars, je suis là pour eux !

    Dans tes morceaux, tes clips ou même sur scène, tu t’en prends régulièrement aux symboles du Royaume-Uni, comme lorsque tu brandis une fausse tête décapitée de Boris Johnson ou lorsque tu traites la Reine Elizabeth II de « salope ». Est-ce qu’il n’y a pas un peu de provocation derrière tout ça ?

    Si, bien sûr, mais l’idée est surtout de présenter de façon claire et visible ce qui ronge notre pays depuis des décennies. Certains n’aiment peut-être pas voir cette réalité en face, mais il est temps d’agir, de faire comprendre aux Britanniques que le Brexit est une bêtise, une décision raciste. Ces gens, majoritairement issus d’une caste bourgeoise, tentent de nous isoler du reste du monde, de nous diviser, et on ne peut pas rester sans rien dire. Après tout, ce ne sont pas eux qui vont galérer à voyager. Et c’est bien là le problème : ils mettent en place des lois dont ils ne subiront jamais les effets.

    La dernière chanson de l'album, adhd, parle de la façon dont tu as perpétuellement besoin d'être entouré...

    C'est ma chanson préférée de l'album, mec ! À la base, j'ai joué quelques notes à la guitare, que j'ai fini par sampler, et, en écoutant la mélodie, j'ai tout de suite su que je voulais parler de ce sentiment. J'aime l'idée que les gens puissent pleurer en écoutant mes morceaux, parce qu'ils sentent que je mets le doigt sur une émotion véritable, qui est différente de la colère ou de l'excitation : deux sentiments dans lesquels on enferme encore trop souvent les jeunes hommes comme moi. À l'inverse, j'ai envie de dire à mes potes qu'ils ont le droit de pleurer, et que je serai là pour eux si jamais.

    Puisqu’on parle d’amitié : comment est née cette collaboration avec Mount Kimbie et James Blake ?

    Dom Maker, de Mount Kimbie, est l’un de mes plus proches amis. Il vit à Los Angeles depuis quelques années, mais c’est lui qui m’a permis d’entrer en contact avec James. Et la rencontre était parfaite : à un moment, dans feel away, je fais référence à Mariah Carey, et il s'est mis à chanter comme elle dans Dreamlover. Ça donne une vraie originalité à ce morceau, j'ai l'impression.

    Il y a aussi ce clip où tu accouches de James Blake…

    J’ai toujours voulu être enceinte, et ça prolonge ce que je te disais tout à l’heure sur l’idée d’exprimer d’autres sentiments masculins. En général, c’est l’homme qui quitte la femme après qu’elle soit tombée enceinte. Là, je trouvais ça drôle d’inverser la situation et de montrer un mec observant sa femme épousant un autre homme et abandonnant l’enfant qu’elle vient de mettre au monde.

    Et ce duo avec Gorillaz, sur le dernier album du groupe, il est né comment ?

    Déjà, il faut savoir que j'ai toujours été un grand fan de Gorillaz. Petit, je rêvais de collaborer avec eux. Un jour, ils m'appellent et me demandent si je suis motivé à l'idée de les rencontrer. De là, on partage un peu de temps ensemble, ils me jouent leurs dernières compositions et on finit par écrire ensemble. Momentary Bliss est né ainsi, en discutant, en fumant quelques joints et faisant confiance à notre feeling.

    Tu aimerais être aussi célèbre que Gorillaz un jour ?

    Si ça arrive, on tentera de gérer les évènements comme ils viennent. Je veux que ma musique soit reconnue, mais la célébrité peut être dangereuse pour un artiste comme moi. Je préfère me focaliser sur la qualité de mes morceaux, je n’ai pas envie d’être le Elvis Presley ou le Michael Jackson de ma génération. Je suis juste heureux de pouvoir être là où j’en suis aujourd’hui.

    Tu as peur des dérives de la célébrité, notamment l’abus de drogue, dont tu parles souvent ?

    La musique est là pour me décharger de ce qui me pèse sur le cœur, mais peut-être que les drogues également. Elles m'ouvrent les yeux et me permettent de remettre en question ma façon de penser. Ce n'est évidemment pas conseillé comme remède à la dépression, mais ça m'a aidé d'une certaine façon. Après, je ne veux pas m'y enfermer : quel genre de mec serais-je si je ne pouvais pas m'amuser sans prendre ce genre de choses ?