2019 M08 30
De prime abord, ça ressemble à un gros cadeau de Noël que les enfants auraient ouvert avant minuit. Teasé depuis plusieurs mois, qualifié par le très respecté Billboard « d’événement le plus attendu de l’automne 2019 », « Norman Fucking Rockwell » arrive enfin, à moitié déjà déballé avec déjà 8 morceaux (!) publiés sur internet sur les 14 titres que comptent l’album.
Les retards de livraison accumulés permettent de deviner la gamberge dans la tête d’une Lana qui se savait attendue au tournant. Et l’on ne peut s’empêcher de penser, à l’écoute de l’album final, que les diffusions étalées au fil des semaines avaient vocation à tester les réactions du public avant le grand lâcher de poissons. Car oui, on a tendance à l'oublier, mais la PME Lana Del Rey est une impressionnante entreprise de communication qui s’exprime simultanément sur tous les comptes sociaux – Instagram en tête – de l’artiste. La principale intéressée a pour elle la jeunesse, une fraicheur et un glam naturel ; tout cela la protège du procès qui pourrait lui être fait de diva déconnectée. Accusée depuis ses débuts de faker son image (voire son propre corps cf les critiques sexistes sur ses opérations chirurgicales non assumées), Lana n’en reste pas moins une femme de son époque, férocement connectée, si ce n’est au monde réel, du moins à son compte Instagram (14 millions d’abonnés tout de même). On connaît des artistes comme Angèle qui rêveraient de la même trajectoire.
Alors, au bout du compte, que reste-t-il de « Norman Fucking Rockwell » au delà des chansons déjà entendues depuis plusieurs semaines ou mois ? C’est finalement la grande interrogation de ce sixième album slow tempo, la faute à des titres ultra puissants comme Mariners Apartment Complex ou la reprise de Sublime, Doin Time, à côté desquels les vrais inédits comme Love Song ou How to disappear semblent pâlots, voire anecdotique. Disque de slow à écouter à l’horizontal, limite létal, « Norman Fucking Rockwell » abrite tout de même quelques surprises (California ou The Greatest) mais ceux qui pensaient que la grande sœur spirituelle de Lorde pourrait se transformer en Courtney Love en auront forcément pour leur argent. Pas beaucoup de larsen sur l’album, et blague à part, pas plus de batterie. Tout est ici joué en sourdine comme autant de comptines qui feront du bien à ceux qui n’en peuvent plus d’entendre Nicki Minaj gueuler des choses vulgaires.
Décrit par Lana comme « un album folk et un peu surf », ce sixième album en 13 ans de carrière continue de creuser un sillon, voire de labourer un terrain, bien connu des fans : celui de la grandeur de l’Amérique d’hier, et qu’on retrouve encore une fois sur la pochette, vintage à souhait, et où la musicienne s’amuse à prendre une pose à la Kate Winslet dans Titanic. Que comprendre de cette mise en scène ? D’abord que Del Rey possède un féroce humour, souvent mésestimé par les critiques, et qui lui permet de se rincer facilement après les pluies de critique. Ensuite, que l’icône américaine, comme Tarantino dans son dernier film, se plait à revisiter un pays qui n’existe plus. Car musicalement, « Norman Fucking Rockwell » n’invente pas grand chose ; il n’a d’ailleurs pas été conçu pour ça. S’il rebat les cartes, c’est peut-être en terme de chronologie puisque le format album permet à Lana de réassembler ses petites vignettes lâchées au fur et à mesure dans un grand livre souvenirs où tout sonne un peu sépia.
Quant au nom de l’album, il se raconte que l’Américaine l’aurait trouvé alors qu’elle testait des harmonies en studio en prononçant le nom du peintre mort en 1978. Et puis là, tilt : « Bordel, c’est bon j’ai le nom de l’album, ça s’appellera ‘’Norman fucking Rockwell’’ ! ». Voilà encore un mystère insondable chez cet artiste qui l’est tout autant. Mais en le réécoutant attentivement, on se dit qu’elle aurait mieux fait de l’appeler « Nancy fucking Sinatra ».