Que vaut vraiment le « McCartney III » de l’ancien Beatles ?

La sortie de « McCartney III », ce 18 décembre, restera comme l’un des rares événements notables de cette année 2020 marquée par la timidité des sorties internationales. Outre le fait qu’il permet de clôturer une trilogie débutée voilà 50 ans, l’album de Macca doit justement son existence au confinement, et permet à l’homme de 78 ans de transformer l’ennui en 11 chansons, si ce n’est géniales, du moins libératrices.
  • With a little help from personne. La pop culture est une dame étrange : qui aurait parié, alors que les Beatles étaient encore activité, qu’un vieux monsieur, 50 ans plus tard, parviendrait encore à capter l’attention, à l’heure Twitter/Internet, avec un album où son visage n’apparait même pas sur la pochette ? C’est que, en vérité, Paul McCartney est en quelque sorte la pop culture, puisqu’il l’a inventé. C’était un petit groupe de Liverpool, et vous connaissez la suite de l’histoire.

    Acte 1 : en avril 1970, alors que la crise gronde entre les 4 membres des Beatles, Paul publie « McCartney », une semaine avant « Let it Be », entrainant ainsi le groupe dans sa chute, puis, sa séparation. Pour Macca, c’est un geste conscient qui lui permettra de sauter de l’avion avant que celui-ci n’explose. On y trouve notamment le tube Maybe I’m amazed, preuve que même tout seul, l’Anglais reste parfaitement lucide.

    Acte II : en mai 1980, Paul McCartney, 38 ans, remet ça avec « McCartney II ». Cette fois, c’est pour enterrer son groupe des Wings, avec qui il prend ses distances grâce à un second solo où il assure encore son rôle d’homme-orchestre, jouant de tout, produisant seul, comme Stevie Wonder sur son mythique « Innervisions ». Sauf que là, il est surtout question d’électronique, de bidouillages chelous et de synthés totalement cinglés ; le meilleur exemple étant surement le très perché Temporary Secretary.

    Acte III, en 2019 : à 78 ans, et alors qu’il est considéré comme une personne à risque, McCartney cloture la trilogie débutée 50 ans plus tôt avec « McCartney III ». Il est alors question de répondre, non pas à une crise d’égos ou une bataille artistique avec Lennon, mais à une pandémie qui force tous les musiciens (et accessoirement l’Humanité) à rester planqué à la maison. Pour Paul, ce sera dans sa célèbre ferme du Sussex, en Angleterre, où il saisit tour à tour toutes les idées jamais finalisées, tous ces bouts de chansons qui trainaient depuis longtemps, puis les assemble comme un patchwork de vieux vêtements qui, pourtant, sonnent très neufs. Dépareillées, certes, ces chansons s’écoutent dès lors un gros tatapoum joué par un ado de 78 berges refusant de vieillir, sans crainte de passer du rock à la folk, voire même, par endroits, de renouer avec l’esprit Beatles.

    Avouons-le : les premiers titres de « McCartney III » laissent un peu perplexe ; pas de tube. Ce n’est, en fait, pas l’objectif. Si ce 18ième album cloture la trilogie commencée en 1970, c’est parce que comme ses prédécesseurs il permet à Paul de jouer de tout, tout seul, chez lui à la maison, pendant que le monde extérieur brule. Le concept de home studio, inventé en 1970 avec « McCartney », trouve cinq décennies sa justification par le fait que l’Anglais ne peut voir personne (un peu comme nous, finalement). Son vaccin à lui, ce sont 11 titres de soft rock, parfois un peu mous, parfois chantées d’une voix fatiguée, mais toujours sincères, et donc, touchantes (Women and wives).

    Et puis parfois, ça s’accélère. D’abord sur Lavatory Lil, un vrai rock à l’ancienne, puis sur le très rock Slidin qui ressemble étrangement à un titre écrit par les Arctic Monkeys, avant de virer carrément space rock dans sa seconde partie. Si l’on regarde the big picture, « McCartney III » ressemble à une gigantesque récréation avec un Paul bien heureux de profiter de son temps libre imposé par le coronavirus pour tripoter tous ses jouets, les uns après les autres. « J’ai enregistré chaque chanson avec l’instrument qui a servi à l’écrire explique-t-il dans le communiqué, sans même penser que cela finirait sur un album ». Au final, l’album de confinement n’a pas à rougir dans la discographie du plus grand des compositeurs anglais (avec Lennon et Bowie, soyons justes).

    A retenir aussi : la lente odyssée de Deep deep feeling qui, en 8 minutes, évoque le fantôme Clapton absorbé par le songwriting du bassiste gaucher, ou Seize the day, qui aurait quant à lui pu terminer sur « Chaos and Creation in the Backyard », l’album produit difficilement en 2005 par Nigel Godrich, l’homme derrière le son Radiohead avec qui, selon les rumeurs, l’enregistrement se serait révélé houleux. Aucune friction ici : Paul assure à lui tout seul le spectacle et c’est une bouffée d’air frais pour les maisons calfeutrées.

    Quand vient l’heure du morceau de cloture, Winter Bird / When Winter comes, on est alors pris d’un petit frisson : ce n’est pas le froid de l’hiver qui cogne à la porte, mais le McCartney à poil, guitare acoustique en main, pour une ballade désarmante comme seul lui en a le secret. Un tel miracle qu’on en vient à se demander ce qu’il sera encore capable de sortir de son chapeau, when he’ll be 80.