2021 M10 19
Le rock serait bien morne, sans les Australiens. Les Anglais ont connu un franc passage à vide durant les années 2010, aujourd’hui bien compensé par un revival post-punk foisonnant. Et les artistes australiens ont profité de la brèche. Si Perth a longtemps concentré les regards, grâce à la figure imposante de Tame Impala et Kevin Parker, suivi de Pond ou des Psychedelic Porn Crumpets, c’est désormais vers Melbourne qu’il faut se tourner pour trouver sa dose de nouveaux groupes excitants. Que ce soit les psyché et hyperproductifs King Gizzard & The Lizard Wizard, la charismatique Courtney Barnett, suivis de la punk Amyl And The Sniffers ou des joyeux fous de Tropical Fuck Storm, le flot ne s’arrête jamais.
La situation n’a rien de nouveau. Dès les années 60, la ville produit le premier groupe à succès du pays avec l’easy listening des Seekers, qui partent vite vers Londres. Surtout, c’est là que se bâtit déjà la principale qualité du lieu : son intense réseau de salles de concerts. Dans les années 70, ce sont bien sûr les Sydnéens d’AC/DC qui se taillent la part du lion, un groupe comme Little River Band parvient à trouver sa place dans le sillon classic rock. Mais c’est bien durant la vague post-punk que l’identité de la ville va clairement se définir, en particulier grâce à Nick Cave et toute la galaxie entourant The Birthday Party, dont le culte Rowland S. Howard ou Anita Lane. D’autres formations attirent également l’attention dans le monde, comme Dead Can Dance ou JG Thirlwell, mieux connu sous les alias Fœtus ou Clint Ruin.
De là, la répartition semble claire : Sydney produit les grands poids lourds pop (INXS, Midnight Oil, etc.), tandis que les groupes de Melbourne sont plus alternatifs, à l’image des punk de Big Pig. Cela n’empêche pas quelques exceptions, comme Crowded House et bien sûr Kylie Minogue, ou même le groupe de hard rock de stade Horsehead, signé sur le label de Madonna, Maverick Records. On peut aussi penser au groupe Jet, qui se trouve une petite place dans les années 2000, porté par le renouveau initié par les Strokes, et surtout son tube Are You Gonna Be My Girl. Plus encore, les années 2000 marquent aussi la diversité de la ville, avec l’électronique de Cut Copy ou le hip-hop des Avalanches.
Comment expliquer une telle diversité ? En réalité, cela tient au fond à une chose : la musique a toujours été largement soutenue et encouragée dans la ville, en particulier les concerts. Si les principaux labels et acteurs de l’industrie sont basés à Sydney, c’est bien Melbourne qui attire le plus d’artistes indépendants. Ces derniers y trouvent une foule d’endroits à jouer, ce qui leur permet de vite se structurer. Pouvoir jouer trois à quatre fois par semaine, alors qu’on est encore en développement, c’est une opportunité pour vite se professionnaliser.
« Melbourne possède le plus de salles par habitant au monde, avec un lieu pour 9503 personnes. »
En 2018, beaucoup considéraient même Melbourne comme la capitale mondiale des concerts. Cette affirmation se base sur une étude montrant l’ampleur de l’industrie du concert dans la ville : c’est elle qui possède le plus de salles par habitant au monde, avec un lieu pour 9503 têtes. Soit plus du triple de Londres, et environ le double de New York. Avec 465 salles, pubs ou clubs, Melbourne permet à des artistes très différents de coexister. En 2017, ce sont 73 000 concerts qui ont eu lieu, et, chaque samedi, 112 000 personnes sortaient pour écouter de la musique live. Au final, cette industrie pèse 1,4 milliards de dollars. À l’inverse, les artistes de Sydney expriment souvent leur frustration tant la capitale économique du pays est restrictive sur ce point.
Plus largement, la capitale de l’état de Victoria est réputée pour l’ensemble de sa culture. Reconnue ville littéraire par l’UNESCO, elle est aussi souvent mise en avant pour sa qualité de vie. Les infrastructures, le système de santé et celui de l’éducation sont performants, le crime est bas. Même si cette réalité cache aussi une importante crise immobilière et un coût de la vie élevé, entraînant également une forte pauvreté. Certains, comme deux membres de Tropical Fuck Storm, préfèrent même vivre dans le bush, à plusieurs kilomètres de l’aire urbaine. Mais ils contribuent néanmoins à la réputation de la ville : à Melbourne, la météo est pourrie, mais les groupes sont excellents.