Michel Polnareff : l’interview, enfin

En 1996, le plus excentrique des musiciens français se livrait à Michel Denisot dans une émission exceptionnelle dans le désert (et sur CANAL+). Vingt-deux ans plus tard, coucou le revoilou avec « Enfin », dixième album numéro 1 dans les charts. Comme d’habitude avec Polnareff, il y a du décalage : neuf heures, pour être précis. Interview par téléphone, entre Los Angeles et Paris.
  • De Pascal Obispo aux Daft Punk, d’Armanet à Air : ils peuvent tous lui dire merci. Depuis cinquante ans qu’il a posé ses fesses sur la chanson française, Polnareff les a tous influencés. Un fait d’autant plus étonnant qu’il n’a, à ce jour, publié que dix albums. Soit une moyenne d’un tous les cinq ans. À l’heure des singles Spotify toutes les deux semaines, cette anomalie va plutôt bien à cet extraterrestre exilé à L.A. depuis quatre décennies.

    Coup de bol pour Michel : personne ne semble l’avoir oublié. La preuve, « Enfin » est numéro 1 des classements quelques jours seulement après sa sortie, et ce succès, qui vient après vingt-huit ans de silence, ferait presque (presque) oublier le carton commercial et postmortem du dernier album de Johnny – son grand pote.

    Contrairement à toutes les rumeurs qui le disaient fatigué ou en manque d’inspi’, l’homme qui nous fait face – au téléphone, s’entend – a l’esprit vif, peu de comptes à rendre et simplement 11 titres à donner. D’humeur taquine et disponible, il a pris le temps de nous expliquer depuis Los Angeles le début de « Enfin ».

    En reprenant l’histoire de tous vos retours, j’ai l’impression que chacun d’entre eux a toujours été accompagné d’un acte « punk » : vos fesses sur les murs de Paris, votre séjour au Royal Monceau pendant 800 jours pour « Kama Sutra », ou encore votre opération des yeux avant le Roxy. Là, rien ou presque, hormis cet incroyable morceau d’ouverture, Phantom, un instrumental grandiloquent de 11 minutes, très orchestral. Plus personne ne fait ça aujourd’hui.

    Ce n’était pas l’objectif. Il s’agit surtout d’un morceau qui me tenait à cœur, très intimidant du reste, à jouer, avec tous ces grands musiciens autour de moi. Ce titre, j’ai dû l’écouter 3000 fois ! Mixé, remixé… par fatigue, on en vient parfois à vouloir tout envoyer chier. Au-delà de ça, je trouvais ça bien de débuter par un instrumental, pour installer une position, une ambiance.

    C’est une belle ouverture de film, pour le coup.

    Oui. Je m’amuse à dire que Phantom et Agua Caliente [l’autre instrumental qui clôture le disque, nldr] ce sont des chansons qu’on écoute avec les yeux. La musique de films pas encore tournés, disons.

    C’est peu dire que tout le monde attendait ce retour sur disque. Vous avez lu comme nous les inquiétudes à propos de votre forme artistique. Or, à l’écoute de cet « Enfin », tout est là : la voix, la maitrise du piano, jusqu’aux montées dans les aigües. Franchement, de votre point de vue, y’a-t-il un parfum de revanche ?

    Non, sincèrement, non. C’est vrai que je suis un mec assez entêté, que j’en avais marre d’entendre parler « d’arlésienne » - du moins j’aurais préféré qu’on me surnomme « l’arlésien » - mais je ne suis pas en guerre avec le monde extérieur ; je suis en combat avec moi-même. La revanche, elle n’est pas par rapport au public. Le succès du dernier album de Johnny montre par exemple que ce dernier sait être fidèle aux gens qui lui ont tant apporté. Pour moi, Johnny a été un héros jusqu’au bout. Nous avons été très proches presque jusqu’au bout, la fin a été plus compliqué avec le déclin de sa santé. J’ai été catastrophé par son départ, et son image a été salie par tous ces problèmes qu’on sait.

    Parlons de Sumi, chanson très surprenante, sorte de slang qui n’est pas sans rappeler Hey you woman, l’une des premières chansons quasi rappées de la chanson française.

    C’est vrai, concernant Hey you woman, mais aucun lien avec Sumi. Je n’y avais pas pensé avant que vous m’en parliez d’ailleurs… C’est juste du bon rock. Je me languis de la chanter sur scène, ça va être très sympa.

    Oui et justement, pour conclure, une question au pianiste : vous en avez encore sous la pédale pour la suite ?

    Oh oui... Le soi-disant manque d’inspiration n’existe pas. Certaines personnes disent que si un disque ne sort pas, c’est qu’il n’y a pas de chansons. Ça n’a rien à voir. Selon moi, ça aurait été nettement plus facile de sortir un double ou un triple album. Là, il a fallu choisir et trier pour aboutir à un album "simple". 

    Le bien nommé "Enfin" vient de sortir et vous pouvez l'écouter ci-dessous.