2021 M03 18
Arnaud Rebotini
« Avant la pandémie, j’avais pour habitude de jouer dans des clubs quasiment chaque week-end, et c’est vrai que ce sont des lieux où j’aime partager des émotions induites par la musique. Ces derniers mois, on a perdu cette sensation, mais il est important de rappeler à quel point ces moments de partage et de vivre ensemble sont uniques, à quel point les livestreams ne suffisent pas à combler ce manque, à générer ces instants de communion hyper forts. Bien sûr, ce n’est pas la grande symbiose tous les week-ends, il y a parfois des soirées foirées, mais les clubs sont des lieux d’affirmation pour beaucoup de gens. C’était déjà le cas du temps du disco et des débuts de la house, deux genres portés par les communautés portoricaines, blacks ou homosexuelles aux États-Unis. Ça l’est toujours aujourd’hui.
C’est pourquoi je ne suis pas du tout inquiet par rapport à la vitalité de la scène clubbing. Au contraire, j’ai comme l’impression qu’il y aura une sorte de Movida mondiale, que toute cette frustration va générer quelque chose de nouveau, que ce soit en termes d’énergie ou de sonorités. »
NTO
« J’ai toujours eu l’impression d’avoir une affinité particulière avec les clubs. C’est dans ce cadre que je suis tombé amoureux de la musique que je fais, c’est là que j’y puise l’énergie que je retranscris ensuite dans mes morceaux, c’est dans cette proximité avec le public que j’aime me trouver.
Quand on y pense, ce sont des endroits extrêmement communicatifs, dans le sens où l’on n’a pas d’autre choix que d’être ensemble, de se regarder, de se lâcher. Peut-être même que c’est ce qui rend les soirées dans ces lieux si insouciantes, si fédératrices. Surtout, le club est un espace de liberté incroyable. D’un côté, ça m’a permis de jouer parfois plus de 3 heures d’affilée, ce qui est intéressant en termes de création. De l’autre, ça engendre des rencontres, crée des affinités. Ce n’est pas pour rien, après tout, si certains clubs, notamment à Berlin, prônent avec tant d’énergie ces valeurs d’acceptation. »
Louisahhh
« Les clubs ont été des lieux importants et formateurs pour moi : pour trouver ma communauté et ma vocation, pour guérir et être guérie, pour se rassembler et vivre quelque chose de puissant. Pour créer également : à l’image de mon dernier album, « The Practice Of Freedom », clairement pensé pour faire bouger les corps. Une partie essentielle de mon identité, et même de mon esprit, est donc née au sein des boîtes de nuit. C’est là que j’ai pu me construire, grandir. Cela fait maintenant 17 ans que je fréquente ces lieux, et tant de souvenirs mémorables y sont liés. Le premier qui me vient en tête s’est déroulé à l'iBoat, à Bordeaux. Maelstrom et moi avions joué toute la nuit, pendant plus de six heures : au moment de lancer le dernier morceau, Eisbaer de Grauzone, toute la foule a chanté avec nous, c'était à la fois étrange, drôle et beau.
Malheureusement, je dois avouer être profondément préoccupée par l'avenir de toutes les personnes et de tous les lieux impliqués dans les arts de la scène. Je crains que les racines contre-culturelles de notre industrie ne soient arrachées et remplacées par des versions plus commerciales, moins sacrées et moins punk. C’est du moins ce qui semble avoir survécu économiquement à cette pandémie…. J'espère que l'engagement envers l'underground et la sous-culture prévaudra, ça nous permettra d’y jouer à nouveau en toute sécurité. Les clubs sont tellement cruciaux pour l'expression et l'innovation. »
Boston Bun
« Adolescent, je suis parti faire mes études à Lille et, en fréquentant des clubs comme le Kiosk ou le Supermarket, je découvrais un véritable esprit communautaire, au sens positif du terme. L’ambiance était complétement euphorique, ça durait de 23h à 6h du matin et j’avoue avoir toujours recherché ce lien par la suite. C’était comme faire partie d’un club de lecture, il y avait quelque chose de très humain, dans le sens où tu rencontrais des gens et où tu vivais des moments qui avaient l’air unique. Surtout, tout ce qu’on peut y vivre est rythmé par la musique, c’est pourquoi mes morceaux se nourrissent de cette ambiance. Mon dernier album, par exemple, est clairement né de cette cette frustration de ne plus pouvoir aller en club depuis un an. D’où son titre, « There's A Nightclub Inside My Head », d’où ces morceaux où je me libère des structures, des drops et des codes propres à la musique de club.
Alors, oui, la fermeture des boites de nuit m’a permis de créer ce disque, mais j’ai vraiment hâte que ces lieux rouvrent, ne serait-ce que pour que la vie nocturne dans les villes de taille moyenne ne disparaisse pas complétement. L'enjeu, ce n'est pas simplement la survie des clubs, mais bien tout l'écoystème qui y est rattaché. Après tout, si les boîtes n’existent plus, les DJ’s également ».
Bajram Bili
« Lors de ma dernière date, fin février 2020, je partageais l'affiche avec Daniel Avery, le club était blindé et j'ai le souvenir de ce moment où, après avoir joué des trucs très costauds, j'ai enchainé avec un morceau sans beat. J'ai vu que le public réagissait bien et ça a créé quelque chose d'assez indescriptible. J’étais envahi par un déluge d’émotions, le corps pleinement conscient de ce que je vivais. La mélodie du morceau ramenait un côté solennel. Chaque fois que je levais les yeux pour regarder les gens, les lights, le lieu, tout ce que je ressentais était décuplé. On était hors du temps.
Certes, tous les problèmes (de société, de comportement...) ne disparaissent pas une fois dans le club, mais c'est indéniable qu'il y règne un sentiment de partage, de liberté - un sentiment d’oubli aussi. On se trouve, on se perd, on se retrouve. J’ai beaucoup appris en sortant dans ces endroits. Voilà pourquoi je trouve ça regrettable que les clubs ne soient pas reconnus comme il devrait l'être dans le monde de la culture. Pour moi, ces lieux ont été essentiels dans ma construction, et le sont toujours. »
Dimitri From Paris
« J’aime profondément la musique, donc les clubs sont pour moi des endroits où l’on peut profiter d’un environnement, où l’on peut se retrouver à plusieurs, avec un son différent de chez soi. Il y a plein d’intérêts à aller en club, mais pour moi la musique en est la raison principale. C’est pour ça que je suis devenu DJ : parce que je voulais partager la musique que j’aime bien, parce que j’avais pu assister aux sets de Frankie Knuckles à la Sound Factory de New York, où l’on sentait une vraie communion entre le DJ, l’endroit et le public, majoritairement gay, noir ou latino. J’ai alors compris que tous ces gens, issus des minorités ou à contre-courant, avaient trouvé là un endroit où se faire entendre, un lieu où les DJ’s diffusaient de la musique à un public qui semblait la comprendre. Il y avait un côté messe, quelque chose de solennel, une ambiance légère et en même temps lourde de sens.
Il paraît de toute façon évident que les clubs sont des vecteurs d’émancipation, un peu comme s’ils offraient davantage de liberté, ne serait-ce que parce que la nuit permet de se désinhiber, de sortir de nous-mêmes, de notre vérité. On se fiche de savoir comment se comporter, on se lâche, puis des liens se tissent et des scènes se forment. Après tout, c’est en rencontrant des gens qui pensent comme nous que l’on peut donner naissance à de nouveaux projets, culturels ou autres. On entre alors dans une communauté d’envie plutôt que dans une communauté de pensée.
Hélas, j’ai peur que seules les grosses machines, avec pas mal de trésorerie, vont pouvoir se sortir de la situation actuelle. Au point d'être pessimiste ? Pas nécessairement : les temps difficiles rendent les gens créatifs. Peut-être que les clubs vont se recentrer sur une scène locale plutôt que sur des artistes internationaux, peut-être que les gens iront en boîte à défaut de pouvoir voyager, peut-être que les artistes qui ne sont ni mainstream ni underground, faute de perspectives, retourneront vers des démarches plus avant-gardistes. L’avenir est peut-être plein de bonnes surprises. »