Les films du Studio Ghibli ne seraient rien sans la musique de Joe Hisaishi

Le 1er février prochain, les films de Hayao Miyazaki et consorts arrivent sur Netflix (disponible dans le pack ciné séries de CANAL+). L’occasion d’évoquer le parcours de celui qui a composé presque chaque bande-son.

Âme rêveuse. La musique au cinéma est avant tout une affaire de duo. Celui qui unit un réalisateur à son compositeur : David Lynch et Angelo Badalamenti, Sergio Leone et Ennio Morricone, Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann, Tim Burton et Danny Elfman, Steven Spielberg et John Williams. À cette liste, très excitante, il convient d’ajouter également Hayao Miyazaki et Joe Hisaishi, dont la collaboration prend forme sur Nausicaä de la vallée du vent. Il faut reconnaître au compositeur japonais le sens de la constance : cela fait maintenant 36 ans qu’il met en son les films du Studio Ghibli et émerveille le spectateur avec des ritournelles rêveuses et solaires, qui fonctionnent indépendemment des longs-métrages et multiplient les croisements stylistiques.

Dans les années 1980, on sent même clairement ses influences, notamment Terry Riley, Michel Legrand et la pop extravagante du Yellow Magic Orchestra. C'est d'ailleurs avec tous ces artistes en tête qu'il compose la BO de Mon voisin Totoro en 1988, son chef-d'œuvre, réalisé en pleine convalescence et pourtant porteur d'un souffle universel ; depuis, la chanson d'ouverture est même devenue un hymne des maternelles au Japon.

Toucher par la grâce. Comme dans n'importe quel bon film hollywoodien, tout n'a pourtant pas toujours été aussi simple pour Joe Hisaishi. Avant de rencontrer le succès et d’être accueilli en véritable idole dans les philharmonies du monde entier, Mamoru Fujisawa (son vrai nom) s'est longtemps contenté de quelques bandes-son pour la télévision japonaise et les animes. En 1981, il tente même une percée avec son groupe MKWAJU avant de se lancer en solo avec les albums « Information » et « Curved Music », véritable ode à la pop électronique. En vain. Il lui manque un cadre, des moyens, un espace de liberté suffisamment vaste pour s'exprimer pleinement. Et c'est là que Hayao Miyazaki entre en jeu : « C’est lui qui m’a mis sur la voie de la musique de films, rappelait-il à Libération. J’y ai vu l’opportunité d’insérer des éléments minimalistes et modernes. […] J’ai appris à reconsidérer Beethoven ou Brahms. L’élément classique dans ma musique n’a jamais été si fort. » Venant d’un homme qui a appris le piano à 5 ans et qui a étudié la musique sous l’enseignement de Takeo Watanabe, célèbre compositeur des animes japonais, le propos tient presque de l'éloge.

Ce profond respect, on le retrouve aussi dans la façon qu’a Joe Hishaishi de se mettre au service de Hayao Miyazaki. Toujours selon le même procédé : puisque la production d’un film du Studio Ghibli est souvent très longue (entre deux et trois ans), le compositeur met en son dans un premier temps ce qu’il nomme un « image album » sur la base des storyboards et des détails fournis par le réalisateur, qui peut ainsi travailler en musique et peaufiner ses besoins en termes d’accompagnement sonore. Une fois ce travail effectué, Miyazaki peut alors commander à Hisaishi différents morceaux, souvent gracieux et à même de sublimer les séquences du long-métrage.

Un collaborateur hors pair. Limiter l'importance de ce John Williams japonais à sa collaboration avec le maitre de l’animation serait toutefois injuste : depuis les années 1990, Joe Hishaishi collabore aussi régulièrement avec l’acteur-réalisateur Takeshi Kitano, notamment sur A Scene at the Sea, où il multiplie les clins d’œil à la musique minimaliste d’Erik Satie, et Sonatine, où il croise la musique traditionnelle japonaise et les envolées synthétiques de John Carpenter.

Avec le temps, il est même assez fou de constater à quel point le travail du compositeur japonais reste une source de découverte inépuisable en même temps qu'une influence majeure. Ce n'est pas anodin si on lui confie la bande-son de la cérémonie d'ouverture des Jeux Paralympiques d'hiver de 1998 à Nagano. Ce n'est pas un hasard si certaines de ses BO pour le Studio Ghibli ont été rééditées en vinyle, s'il a reçu sept prix de l'académie japonaise et s'il a été convié à rejoindre les rangs de l'Académie des Oscars en reconnaissance de sa contribution au cinéma. La preuve, en somme, qu'une bonne musique de film n'est pas forcément celle que l'on n'entend pas : celle de Joe Hisaishi est au contraire omniprésente, fascinante, obsédante. Promise à la postérité, en quelque sorte.