Le "Prose combat" de MC Solaar a 25 ans : retour sur un disque culte

Près d’un million d’exemplaires, deux Victoires de la Musique, « Prose combat » est certainement l’album le plus important de la carrière de Claude MC. 25 ans après sa sortie, Jack vous dit pourquoi.

Parce qu’il inscrit Solaar dans la grande tradition de la chanson française

Un sample de Bonnie & Clyde de qui vous savez sur Nouveau Western, une écriture automatique inspirée par Les élucubrations d’Antoine, un titre nommé À la claire fontaine… Trois ans après l’inaugural « Qui sème le vent récolte le tempo », MC Solaar fait tout pour se faire aimer du grand public et permettre au rap d’être autre chose que simplement la poésie des grands boulevards aux yeux des pontes de l’industrie musicale française.

Parce qu’il incarne la symbiose du duo MC Solaar / Jimmy Jay

« Tout mon argent passait dans les samples. J’allais acheter mes disques à Londres, au magasin Soul Jazz. Mais mon plus grand souvenir, c’est le Japon. À Tokyo, j’ai trouvé un magasin au sous-sol d’un grand centre commercial, rempli de raretés. Au mur, il y avait des photos de Dr. Dre, Q-Tip, Pete Rock… Tous les producteurs américains s’y approvisionnaient. J’ai trouvé 80% des samples de "Prose Combat" dans ce magasin. » Ça, c’est Jimmy Jay qui le confie à l’Abcdr du son.

Autrement dit : le Français, déjà à la production de « Qui sème le vent récolte le tempo » et assisté ici de Boom Bass (Philippe Zdar et Hubert Blanc-Francard), est libre de tout mouvement, tandis que Solaar travaille ses textes comme jamais, entre allitérations, références pointues (à Georges Perec, à l’ethnologue Georges Lapassade, à L’école capitaliste en France), regard sur l’actualité (Nouveau western est inspiré par un accord de libre-échange négocié par l'Organisation mondiale du commerce) et fantaisies grammaticales.

Parce qu’il contient tout un tas d’intentions mélodiques modernes

En 1994, Philippe Zdar n’a découvert la techno que deux années plus tôt, mais le choc est tel qu’il en fait une de ses inspirations principales en studio. Pendant les séances de « Prose combat », la future tête pensante de Cassius, qui mixait au même moment les premiers morceaux de Motorbass, se laisse donc aller à quelques délires : il compresse certains sons, ajoute tout un tas de réverbs, place quelques ad libs çà et là afin d'intriguer l'oreille et allonge les morceaux. Pas pour rien, finalement, si Thomas Bangalter a dit un jour à Zdar : « C’est toi qui as fait Obsolète ? Le son de ce morceau, en France, c’est le summum. »

Parce qu’il incarne une certaine idée du cool

« Prose combat » n’est malheureusement pas disponible à la vente ou sur les différentes plateformes de streaming, la faute à un conflit entre le rappeur et sa maison de disques de l'époque, PolyGram. Mais qu’importe. La qualité de l’album a bien marqué les esprits. La coolitude de MC Solaar également. Après tout, qui d’autre que lui était capable de citer aussi crânement Public Enemy (« Hollywood nous berne / Hollywood berne ! »), d’adapter en français ce que proposait les Native Tongues (De La Soul, A Tribe Called Quest), de rapper avec nonchalance et romantisme des textes aussi sombres que La concubine de l'hémoglobine et de ringardiser les vieilles gloires de Polydor (Mylène Farmer, etc.) ? La réponse, vous l’avez forcément.

Parce qu’il a permis au rap français de briller à l’étranger

Entre une publicité parue dans le magazine anglais (et pointu) Wire en 1993, des sessions chez John Peel, les sollicitations du label britannique Talkin’ Loud, les compliments de Gilles Peterson (« On aurait dit le frère poétique de Patrick Vieira juste après sa signature à Arsenal ») et la reconnaissance de futurs grands pontes du hip-hop US (Puff Daddy, Will.I.Am), MC Solaar semble avoir fait bien plus pour le rap français à l’international que n’importe quel autre rappeur local. Ça risque de déplaire aux puristes, voire à ceux qui l’ont toujours trouvé trop pop, mais il s’agit parfois de rétablir la vérité.