Le "Interstella 5555" des Daft Punk a 15 ans et c'est comme si c'était hier

Le 28 mai 2003 sortait en France un film d’animation sans dialogues à 4 millions de dollars et l’OVNI cinématographique conçu par le père d’Albator et les deux robots casqués allait marquer durablement les esprits. Quinze ans après, on refait le voyage spatial à l’envers.
  • 2001, l'Odyssée de l’espace. Pour mieux comprendre Interstella 5555, ce film d’animation commandé à Leiji Matsumoto (le papa d’Albator et Galaxy Express 999), il faut d’abord remonter un peu plus loin, à la conception du disque « Discovery » sorti deux ans plus tôt, en 2001. La France est alors encore gouvernée par Lionel Jospin, les attentats du 11 septembre n’ont pas encore eu lieu et les Daft, pour ce qui les concerne, sont encore auréolés du succès inattendu de « Homework », publié en 1997 et prophète, à sa manière, de ce que certains appelleront la French touch.

    À l’inverse du premier album, « Discovery » ressemble pourtant à un bras d’honneur, en douceur. Plutôt que de creuser le même sillon house et que de sortir un Da Funk bis, Bangalter et Guy-Manuel se prennent à rêver d’un disque disco(very) où le vocodeur tiendrait une place de choix et où les arpèges évoqueraient sans scrupules autant Jean-Sébastien Bach que Metallica (Aerodynamic). Pour le fan, par essence conservateur, le virage artistique est un peu dur à avaler. Les Daft samplent à tout va (Cerrone, Barry Manilow, Prince) et recollent les morceaux de la pop culture sur un premier single ô combien déconcertant, One More Time, qui fait bien comprendre à tout le monde que le deuxième album des Robots n’a pas prévu d’être conforme aux attentes du grand public.

    Dessein animé. À sa sortie, « Discovery » est accueilli comme il se doit, la bouche ouverte, avec une légère moue circonspecte : ce disque d’adolescent, naïf à 110%, marquera-t-il les années post Dorothée ? Ce que le grand public, comme les médias, ne sait pas, c’est que le duo français a gardé une paire d’as dans sa manche. Alors qu’il enregistre « Discovery », il s’est mis en tête de composer un long métrage où se succéderaient limousines et vaisseaux spatiaux dans ce qui ressemble très clairement à un space opera. « Nous commençons alors, parallèlement à la musique, l'écriture de l'histoire avec notre ami et collaborateur Cédric Hervet, expliqueront plus tard les deux Daft, tous trois bercés enfants par Albator et son univers poétique et énigmatique, nous rêvons d'une collaboration incertaine avec Leiji Matsumoto, et nous envolons à sa rencontre été 2000 avec notre album et le synopsis terminé sous le bras. » Ledit Leiji Matsumoto n’est pas un inconnu : il a bercé l’enfance des gamins français de la fin des années 1970 au milieu des années 1980 avec ses histoires de pirate de l’espace (Albator) ou de TGV cosmique (Galaxy Express 999).

    Oublié et crevant lentement au Japon, Matsumoto, malin, saisit la balle au bond. « Le jour où Thomas et Guy-Manuel m’ont proposé d’imaginer un univers visuel à partir de leur musique, j’étais ravi. […] J’ai vu dans leur proposition un clin d’œil du destin. C’est pour moi un rêve d’enfant que de proposer mes visions à un large public. Je n’y croyais plus tellement, et puis, à l’aube du XXIe siècle, les Daft Punk sont venus me trouver ! Ils m’ont dit avoir découvert Albator à l’âge de 5 ans. C’est l’âge où l’on imprime ce qui nous influencera pour le reste de notre vie. » Une fois passée cette première rencontre, un deal est conclu avec le collaborateur de Matsumoto, Shinji Shimizu, également producteur de la série Albator chez Toei Animation (à qui l’on doit aussi Goldorak). Quatre millions de dollars et 28 mois plus tard, Interstella 5555 voit le jour « comme un rêve d'enfant devenu réalité » dixit la déclaration presse des Daft Punk, le 28 Avril 2003.

    Une critique de l’industrie du disque. Le pitch d’Interstella 5555 ? Simple comme un dessin animé. Sur une lointaine planète humanoïde, un célèbre groupe de musiciens se fait enlever par un producteur machiavélique qui décide de les exploiter sur la planète Terre avant qu’un mystérieux héros, fan du groupe, ne se décide à venir les sauver à bord de son vaisseau guitare. En clair : du pur Leiji Matsumoto, visuellement, mais surtout un énorme kick dans la grosse jambe de l’industrie du disque, accusée d’avoir voulu les exploiter après le carton mondial de « Homework ». Si le film est sans dialogue, il contient pourtant des messages explicites sur l’aliénation des musiciens-stars transformés en vaches à lait. Mais plutôt que de verser dans la critique frontale, et c’est là le coup de maitre des Daft, eux préfèreront répondre par l’art avec ce dessin-animé-album où l’on trouve autant de clins d’œil à la pop musique (on reconnaît Jimi Hendrix, Mozart, Janis Joplin et Jimmy Page) qu’à la pop culture (les mangas, Albator, la génération MTV, etc).

    Un cas unique dans l’histoire. Le film, projeté en exclu au Festival Cannes en mai 2003, fait l’effet d’une madeleine de Proust tombé dans la piscine d’une villa hollywoodienne. Les critiques de l’album, subitement, se font plus rares, et en toute logique, les clips des quatre premiers singles correspondent aux quatre premiers chapitres du film. Ainsi naitra l’un des premiers (et l’un des seuls) albums au monde qu’on puisse autant écouter que regarder ; et les Daft, passés experts dans l’exploitation de la nostalgie (cf. le très rétro-disco « Random Access Memories ») passeront paradoxalement pour des visionnaires quand pourtant « Discovery », dans sa forme filmique, renvoie à l’enfance perdue, celle des années 1980.

    Désormais bien calé dans son futur, Daft Punk ne reviendra dès lors plus en arrière. 5555 figurines d’Interstella 5555 seront commercialisées en 2004, et plus jamais Guy-Manuel et Bangalter n’enlèveront leurs casques. À ce jour, il se serait écoulé plus de 3,2 millions de copies du dessin animé dans le monde.

    Interstella 5555 sera cet été diffusé en plein air au parc de la Villette à Paris.

    https://lavillette.com/evenement/cinema-en-plein-air-2018/

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