2023 M06 7
S'il ne fallait mentionner qu'un exemple pouvant motiver les plus jeunes à maîtriser une langue étrangère, ce serait celui-ci. Nous sommes en 1962 : alors que João Gilberto, Antônio Carlos Jobim et Stan Getz bossent depuis quelques semaines sur un morceau (nommé provisoirement Menina que Passa, soit The Girl Who Passes By) censé figurer dans une comédie musicale (Dirigível), les trois comparses butent, modifient le premier couplet et, lors d'une session dans les studios new-yorkais A&R, envisagent de l'adapter en anglais. Ni une ni deux, ils conviennent Norman Gimbel à l'écriture et sollicitent la femme de João, Astrud Gilberto, la seule Brésilienne qu'ils connaissent et qui maitrise la langue des Beatles.
Pour toujours, Astrud Gilberto deviendra donc la fille d'Ipanema, ce quartier branché situé au sud de Rio de Janeiro où Antônio Carlos Jobim habite - c'est même là, dans sa nouvelle maison, qu'il a composé la mélodie sur son piano. The Girl From Ipanema n'est pourtant pas une de ces chansons ouvertement autobiographiques.
Si elle s'inspire de faits réels, c'est surtout de ceux puisés dans la vie d'Helô Pinheiro, une jeune fille qui, alors âgée de 17 ans, se rendait chaque jour à la plage en passant devant le café Veloso, où Antônio Carlos Jobim et Vinícius de Moraes (à l'écriture des paroles originales, en brésilien) avaient visiblement leurs habitudes.
Depuis, il semblerait que Helô Pinheiro soit devenue une célébrité au Brésil. Grâce à sa carrière dans le mannequinat, mais aussi grâce la popularité de ce tube, repris par Frank Sinatra, The Supremes, Shirley Bassey ou encore Petula Clark. Un véritable succès, donc, symbolisé par le Grammy Award reçu pour l’album dont est extrait The Girl From Ipanema (« Getz/Gilberto »), mais qui hélas ne profite pas à Astrud Gilberto. Non créditée, la Brésilienne n'a touché aucun droit d'auteur sur cette chanson que certains considèrent comme la seconde meilleure popsong de tous les temps après Yesterday. La légende prétend même qu’elle n’aurait gagné que 120 dollars…
« Cette chanson va te rendre célèbre ». S'il y a bien une chose sur laquelle João Gilberto n'a pas menti à Astrud, c'est bien ça : à 22 ans, la Brésilienne voit illico changer son destin basculer dans une autre dimension. Elle devient la reine de la bossa nova, pousuit sa carrière dans le Greenwich Village et collabore au fil des années avec Stan Getz (une fois encore !), Chet Baker, Quincy Jones, George Michael ou encore Etienne Daho (Les bords de Seine). Comme quoi, Astrud Gilberto avait bien d'autres qualités à faire valoir que de simplement maîtriser l'anglais.