L'histoire du Wattstax, le premier festival des musiques noires américaines

Le dimanche 20 août 1972, 112 000 spectateurs se réunissaient dans un stade de Los Angeles pour assister à six heures de musiques orchestrées par le label Stax. Ou comment Isaac Hayes, Eddie Floyd ou les Staple Singers se sont inscrits le temps d’un concert dans le combat des Afro-Américains.

Pour comprendre l’importance d’un festival comme Wattstax, il faut remonter quelques années plutôt. En mars 1965, plus précisément, à une époque où 41% des Noirs, des Hispaniques et des Amérindiens vivaient sous le seuil de pauvreté en Amérique. À Watts, un des nombreux quartiers de Los Angeles plombé par ces discriminations (on parle ici d’un pays qui a mis en place au début du 20ème siècle des mesures visant à séparer les Blancs des Noirs de chaque côté d’une digue raciale), la situation n’est plus tolérable. Des émeutes éclatent, la révolte est en marche et se paye visiblement au prix fort : en sept jours, près de 4 000 personnes sont arrêtées, 34 ont été tuées.

À cela, il convient également d'ajouter les nombreux bâtiments détruits (plus de 900 !) et tous ces cris, indolents, convaincus et rageurs entonnés par plus de 35 000 Afro-Américains bien décidés à se faire entendre. « Par tous les moyens nécessaires », comme le disait Malcolm X. Une petite fille, elle, dira simplement, qu'au moins, « le monde entier regarde le quartier de Watts à présent ».

Say It Loud – I'm Black and I'm Proud.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Ou à ces chansons inspirées par l’événement, notamment Trouble Everyday de Frank Zappa, qui raconte la façon dont les policiers ont usé de la force pour lutter contre les rebelles de Watts. Mais il fallait aller plus loin, faire en sorte que le monde se rappelle de ces émeutes. Wattstax est né ainsi : dans l'idée d'être « une parenthèse joyeuse », pour reprendre les mots de Guy Darol, auteur d'un ouvrage sur l'évènement (Wattstax, 20 août 1972, une fierté noire).

Soit six heures de musiques imbibées de Black Power, un événement aussi musical que politique, accessible à tous (le prix d'entrée était d'un dollar) et solidaire - l'intégralité des recettes a été reversée à des associations ou des hôpitaux. Mais Wattstax, c'est aussi le festival qui acte l’union de Los Angeles avec Stax, label enraciné à Memphis, dans le Sud profond des États-Unis. Ce n’est pas la première fois que la structure d’Al Bell fait corps avec la révolte noire - en 1964, Sam Cooke ne chantait-il pas A Change Is Gonna Come ? -, mais c’est l’occasion ici de témoigner d’une ferveur unitaire et joyeuse. Surtout, le festival, organisé au sein du Los Angeles Memorial Coliseum, temple du football américain, est un excellent moyen de faire parader une grande partie des artistes maison (Isaac Hayes, The Staple Singers, Carla Thomas, David Porter, etc.), venus faire cohésion avec les 112 000 personnes réunies ce jour-là.

Au lendemain de cet évènement, parfois considéré comme le « Woodstock noir » par des journalistes qui oublient que ce terme est déjà réservé à un festival organisé en 1967 à Harlem, Al Bell se voulait d’ailleurs très clair : « Après la révolte de Watts, nous étions perçus comme un peuple qui pouvait poser des problèmes. L’Amérique avait découvert à la télévision 112 000 personnes réunies dans un stade de Los Angeles où les policiers ne portaient pas d’arme. Elle avait vu des gens s’amuser librement, désinhibés de toute crainte, et c’est ce message qu’il faut retenir ». Ça et le fait que Wattstax reste à ce jour, selon le magazine Soul, « la première manifestation contrôlée par les Noirs ».

A lire sur le sujet :  Wattstax – 20 août 1972, une fierté noire par Guy Darol aux éditions Castor astral.