Il y a dix ans, Orelsan faisait trembler la France avec "Suicide social"

En 2011, lorsque paraît le deuxième album du rappeur caennais (“Le chant des sirènes”), tout le monde n'en a que pour ce titre, placé en avant-dernière position au tracklisting final. En 2021, le single refait surface sur les réseaux sociaux suite à une prestation polémique dans The Voice, signe que l'incompréhension plane toujours autour de ces paroles.
  • La scène s'est passée samedi soir, sur le plateau de The Voice : alors qu'un des candidats, The Vivi, interprète Suicide social d'Orelsan, les coachs de l'émission s'enflamment. Les réseaux sociaux également : certains taxent Vianney d'homophobie après l'avoir vu se déchainer sur un extrait du morceau : « Adieu lesbiennes refoulées, surexcitées / Qui cherchent dans leur féminité une raison d'exister / Adieu ceux qui vivent à travers leur sexualité / Danser sur des chariots, c'est ça votre fierté ? / Les Bisounours et leur pouvoir de l'arc-en-ciel / Qui voudraient me faire croire qu'être hétéro c'est à l'ancienne ».

    D'autres rappellent que la chanson du rappeur caennais a toujours été problématique, allant jusqu’à nier le jusqu’au-boutisme du texte, sa volonté d’interpeller, la mise en scène qu’il propose d’un homme tellement au bord du gouffre que tout semble le répugner : les « nouveaux fascistes » comme les « piranhas dans leur banlieue », les « jeunes cadres fraichement diplômés » comme la « France profonde ». En 2011, dans une interview à L’Express, Orelsan s’en défendait déjà : « Suicide social, c'est vraiment une série de clichés. J'aurais pu faire durer la chanson 4 minutes de plus. Pour moi parler des gens en tant que groupes, en tant que classes sociales, en tant que couches, c'est de la connerie. Cette chanson elle est à prendre comme un exemple de ce qu'il ne faut pas faire ».

    À l’époque, Orelsan est presque considéré comme un récidiviste. En 2009, déjà, un titre inédit (Sale pute) avait été dénoncé par un blog de fan de tricot et avait suscité illico la colère des Chiennes de garde, de Ségolène Royal et de la secrétaire d'Etat à la Solidarité. À tort - le tribunal a fini par reconnaître la dimension fictionnelle des paroles -, on accuse le rappeur d’appeler au viol et au féminicide. Le procès fait beaucoup de bruit, nuit aux intentions originales du rappeur, à sa popularité. Si bien que ce dernier, au moment d’écrire Suicide social, hésite. Son texte a beau être hautement inspiré par une scène avec Edward Norton dans la 25e heure de Spike Lee, il se dit qu’un dernier couplet, plus moralisateur, pourrait permettre de nuancer le propos :

    « Je vais te dire, au début j’avais rajouté un p’tit huit mesures qui disait “Et tous ces gens dans lesquels je retrouve une partie de moi-même, et qui font que je me déteste bla bla bla”, et puis après je me suis dit que l’explication c’est la balle dans la tête du personnage à la fin du titre, c’est tout. Tout est dit, y’a pas besoin d’en rajouter ou de se justifier. »

    Toujours est-il que ce personnage mal dans sa peau, prêt à dégueuler sa haine sur tout ce qui l'entoure, reste encore et toujours mal compris aujourd'hui. Surtout face au tribunal Twitter, ceux qui refusent le droit à la fiction, à l'ironie, au cynisme. Ceux qu'Orelsan décrivait ainsi : « ces dictateurs de la bonne conscience / bien contents qu'on leur fasse du tort / c'est à celui qui condamnera l'plus fort ».