2018 M07 6
Timide et sans complexe. Avant de se lancer dans l’enregistrement de « Debut », Björk avait publié une œuvre en solo. Mais, c’était en 1977, elle avait 12 ans, donc autant dire que l’on s’en fiche un peu. Non, avant ce premier véritable album en solitaire, il y a surtout eu l’aventure des Sugarcubes, et tout ce qu’elle comporte de disques prodigieux (« Life’s Too Good »), de projets aussi complexes qu’un film de Lars von Trier (« Here Toda ; Tomorrow Next Week ») et de petites embrouilles internes. « Je n’ai jamais été satisfaite par la musique des Sugarcubes », a-t-elle balancé un jour, sans qu’heureusement cette frustration n’ait jamais pu avoir raison de la folie créative de Björk, incroyablement libre ici, presque décomplexée à l’idée de s’accaparer avec une telle aisance les codes de la dance music de l’époque.
S’affirmer. Dans une interview accordée aux Inrocks en 1993, elle disait : « Je ne pouvais pas passer de l’amitié la plus forte, celle des Sugarcubes, à l’égoïsme le plus effronté, celui du disque solo. Je n’ai pas été habituée à manger mon gâteau dans mon coin, sans partager. J’ai toujours vécu en bande, grandi et voyagé en communauté. Passer du jour au lendemain de l’amour des autres à l’amour de soi m’a paru très égoïste : il faut se forcer à n’entendre que soi, ne pas écouter les doléances des autres. Choisir ses instruments, sa pochette, ses fringues toute seule. »
Épaulée par Nellee Hooper (Massive Attack et Sinéad O'Connor), Graham Massey (808 State) ou encore la harpiste Corky Hale, Björk, qui a entretemps quitté l’Islande pour s’installer à Londres, n’est pas vraiment seule sur « Debut ». Elle en profite malgré tout pour faire le vide autour d’elle, pour donner vie à des morceaux qui trainent dans ses tiroirs depuis la fin des années 1980 (Human Behaviour, par exemple) et pour plonger l’auditeur dans les douceurs de son intimité.
Journal intime. Venus as a Boy, l'un des chef-d'œuvres incontestables de ce premier album, en est d'ailleurs un parfait exemple. Sur ce single, le deuxième tiré de « Debut », Björk parle ouvertement de sa relation avec son copain de l'époque, Dominic Thrupp, qu'elle décrit comme « sensible, sexy et sensuel ». Mais « Debut » ne serait qu’un long journal intime impudique s’il n’était pas parfaitement mis en son, constamment en opposition avec les codes du Rock du début des années 1990, auxquels l’Islandaise préfère visiblement une instrumentation foncièrement techno, souvent jazzy également, mais toujours au service de cette voix à la fois fragile et puissante, venue d’un autre temps.
Boite à malice. Aussi expérimental et visionnaire soit-il, « Debut », avec ses trois millions d’exemplaires écoulés à travers le monde, reste encore aujourd'hui le plus grand succès de Björk, celui qui lui a permis de s’abandonner à quelques confessions intimes, d’oser des croisements entre des genres à priori incompatibles (comme de mélanger un saxophone aux velléités dance et des sonorités asiatiques) et d’obtenir une de ses premières images iconiques grâce à Jean-Baptiste Mondino, à l'origine de la pochette et du clip de Violently Happy.
Dans une interview datée de 2001, le photographe français définissait d'ailleurs à la perfection ce que représentent encore aujourd'hui Björk et son premier album : « Ce qui est étonnant avec Björk, c’est qu’elle arrive toujours comme un personnage, elle débarque toujours comme dans un conte. Elle arrive avec sa petite valise à roulettes, avec des choses entassées dedans, un peu chiffonnées, et c’est toujours merveilleux : c’est une boîte à malice. » « Debut » est exactement ça, un objet un peu féérique d'où surgissent les visions les plus folles et les plus schizophrènes d'une artiste aussi étrange que charmeuse.