2018 M11 22
As de la com. Ceux qui reprochent à Kanye West d’être beaucoup trop actif sur Twitter ont visiblement oublié (ou n’ont pas connu, c’est selon !) la façon dont il a teasé la sortie de « 808s and Heartbreak » en 2008. À l’époque, l’Américain ne souhaite pas encore « rendre sa grandeur à l’Amérique », seulement à la pop music, et c’est tant mieux.
Sur son blog, il multiplie alors les posts, précise le sens de sa démarche, explique chacun de ses choix (concernant les productions ou la pochette, dont les carreaux de couleur sur le côté rappellent ceux de « Power, Corruption and Lies » de New Order) balance quelques démos et dévoile en exclusivité certains morceaux de son quatrième album, censé tourner le dos à sa trilogie estudiantine (« College Dropout » en 2004, « Late Registration » en 2005, « Graduation » en 2007).
La grande dépression. Kanye West a toutes les raisons de vouloir tout chambouler : en quelques mois à peine, il s’est séparé de la styliste Alexis Phifer et a dit adieu à sa mère, figure ô combien importante dans la construction de son personnage – Hey Mama, sur son deuxième album, le rappelle amplement. Adieu, donc, les textes à portée universelle et les samples de soul (sa marque de fabrique jusqu’alors) : place à l’introspection, au spleen et aux mélodies synthétiques, celles composées par un homme qui a visiblement passé un sacré nombre d’heures à écouter New Order, 10cc, The Korgis ou… Phil Collins.
Kanye n’a rien perdu de son ego (« Mon pote m’a montré des photos de ses enfants, tout ce que j’ai pu lui montrer c’est des photos de mes baraques », entonne-t-il sur Welcome to Heartbreak), mais des failles apparaissent, une sensibilité se déploie. « Je vidais mon âme, c’était thérapeutique », racontait-il au Guardian, comme pour témoigner d'une souffrance que le nom de ses morceaux soulignait déjà : Heartless, Paranoid, Bad News, See You In My Nightmares…
En avance sur la tendance. La vraie surprise de « 808s and Heartbreak » est aussi de ne pas être un album purement hip-hop. Les mélodies sont ouvertement pop, tendance 80’s, minimalistes et le flow a été remplacé ici par un chant noyé sous une couche d’Auto-Tune. En 2008, le procédé est novateur - seul T-Pain semble alors manier ce logiciel avec autant de maitrise -, d'autant que le rappeur/producteur de Chicago l'utilise avant tout comme un instrument, et non comme un simple correcteur de voix.
Dix ans plus tard, on comprend pourtant à quel point Yeezus était en avance sur son temps, annonçant avec un peu d’avance l’émergence et la popularisation d’artistes tels que Drake, Frank Ocean ou The Weeknd, Childish Gambino et même Kendrick Lamar. À Vibe, ce dernier déclairait même : « C'est bon pour la culture hip-hop de savoir qu'il y avait avant nous des gars dans le game prêts à explorer de nouvelles choses. » Car oui, Kanye West c’est aussi ça : une certaine capacité à casser les codes pour en inventer de nouveaux et indiquer à ses contemporains la marche à suivre.