2018 M12 19
Rien à voir avec Michel
Si vous avez connu la fin des années 1990, voire le milieu des années 2000, le terme « variété française » doit certainement vous rappeler des souvenirs, et pas que des bons. Coincée dans ses tics et ses tocs, à l’heure où un disque d’Hélène Ségara pouvait encore se vendre à un million d’exemplaires, cette variété faisait marrer toute personne normalement constituée de moins de 30 ans ; et sans le savoir elle permettait de délimiter clairement les générations.
Vingt ans plus tard, vent d’air frais. Une bande de jeunes musiciens semble avoir ouvert les fenêtres, et dans la foulée d’un Julien Doré explosant le cathodi(s)que à la fin des années 2000, d’autres ont saisi l’effet d’aspiration pour en finir, définitivement, avec le concept de variété avariée. Patron d’une clique franco-française où l’on retrouve, de près ou de loin, Lucien & the Kimono orchestra, Pépite, L’Impératrice ou encore Miel de Montagne, Flavien Berger semble être devenu contre son gré l’emblème de ce renouveau.
Jacques, mais pas Dutronc
S’il avoue une certaine admiration pour son homonyme Michel, le refrain de Flavien est d’abord marqué par une science du contretemps : sur ce merveilleux deuxième album, on entend une chanson inspirée par un mouvement architectural (Brutalisme), et pas mal d’expérimentations, mais sans jamais que cela ne vire à l’exercice de style pour étudiants aux Beaux-Arts.
Cousin germain de Jacques, avec qui il partage le goût du bidouillage et de l’inattendu, Flavien se fascine pour les bruits de radiateur ou d’interrupteur, ne voit pas d’objection à sampler des discussions avec ses ami(e)s pour d’éventuels morceaux ; et le tout reste, en dépit de tout cela, harmonieux.
A la façon d’un Chassol triturant les sons, Berger sait faire décoller son petit vaisseau pour laisser de la place à tous les auditeurs. L’exercice, généreux, lui a cette année permis de se hisser facilement sur le podium des albums de l’année – même si ce podium ne garantit pas qu’il vendra des camions. Est-ce grave ? Non. Comme il nous l’expliquait voilà quelques semaines, le poulain de chez Pan European n’a pas prévu de devenir un personnage public tel un Michel Sardou synth-pop : « Je veux juste faire de la musique, j'ai envie qu'on parle des disques et non de moi. Déjà, tu ne vois pas mon visage, je ne suis pas dans mes clips, ni sur mes pochettes et mes affiches ». N’empêche qu’on le voit quand même partout.
Du bidouillage à la chanson
Autant fasciné par Vald que par Connan Mockasin, Flavien étire le temps et l’espace, rapproche les galaxies, les vieilles chapelles musicales. C’est sa force. Selon France Inter, « il faudra écouter Flavien Berger dans 50 ans pour saisir la complexité de notre époque ». La phrase est juste, elle synthétise bien l’art de Berger : un mélange d’émotions pures combiné à des mélodies naïves avec, accessoirement, un vrai petit tube composé dans une chambre d’ado sur Mars. Ça s’appelle Maddy la nuit, et l’on vous met au défi de ne pas tomber sous le charme de ce supplément d’hélium.
Passionné par le chiffre 9 (« C’est un début de spirale, sans en être une, un circuit raccourci achevé sur lui-même ; avec deux 9 l’un au dessus de l’autre, tu obtiens aussi le symbole du cancer, mon signe astrologique »), Berger peut regarder tranquillement l’an 2019. Il jouera à l’Olympia le 27 mars prochain et si tout se passe bien, l'avenir est encore droit devant : Flavien n’a que 32 ans. Une très jeune étoile, en résumé.