2020 M05 12
Si on se fie aux différents albums de Columbine, avec ces différents morceaux solos placés au cœur du tracklisting, on se dit qu'il était inévitable que tu finisses par te lancer en solo, non ?
On a toujours dit que Columbine était un collectif, ce qui signifie qu’on se voit davantage comme une assemblée d’artistes solo que comme un groupe à part entière. Sur « Adieu Bientôt », par exemple, un tiers des morceaux étaient en réalité des titres que Foda et moi avions réalisés de notre côté. Ce qui se passe avec « L.U.J.I » n’est donc pas totalement nouveau pour moi.
Qu’est-ce que tu as pu réaliser sur cet EP qui n’avait pas été possible au sein de Columbine ?
Disons que j’ai pu profiter d’une liberté totale ici, quelque chose qui m’a permis d’avoir la main sur tout le projet, de la musique aux visuels. Musicalement, j’ai également pris des chemins inédits, avec d’autres types de prod’. Rampalampam, par exemple, a une vibe nouvelle. Ce qui était nécessaire : je n’étais pas là pour faire du Columbine bis, ça n’aurait eu aucun intérêt.
J’imagine qu’il t’a fallu constituer une petite équipe autour de toi pour prendre du recul sur tes morceaux…
Globalement, j’ai travaillé avec des gens avec qui j’ai l’habitude de trainer en studio, des mecs en qui j’ai confiance. Comme Nk.f ou Junior Alaprod. Mon directeur artistique m’a également aidé à choisir les morceaux. J’avais plus de 50 maquettes, une grande partie du boulot a donc été de n’en conserver que quelques-unes.
C’est facile pour toi de mettre des morceaux de côté, d’en jeter d’autres ?
Il faut être prêt à travailler des morceaux uniquement dans le but de s’entrainer. Parfois, il faut trois morceaux non aboutis pour réussir à développer l’idée recherchée sur un quatrième. Créer, ce n’est jamais du temps perdu. Alors, oui, ça fait mal au cœur de jeter à la poubelle des compositions, mais c’est important d’avoir du recul sur son travail. Toutes les idées ne sont pas bonnes à être exploitées. Le vrai défi, dès lors, est de savoir se faire confiance pour être prêt à accueillir des mélodies qui surgissent facilement, comme celles de Lâche-moi la main et Ahou, deux titres composés dans la même après-midi.
Ton EP sort dans un contexte particulier, problématique pour un tas d’artistes. Or, de ton côté, on a l’impression que ça a renforcé encore davantage le lien avec tes fans.
Je ne vais pas te mentir, ça me faisait peur de sortir l’EP dans ce contexte. Heureusement, j’ai reçu pas mal d’encouragements, et ça m’a rassuré. En plus de ça, on a proposé aux gens la possibilité de se procurer l’EP avec une dédicace, des pochettes alternatives, etc. Avec Columbine, on a toujours proposé de beaux objets, et je voulais poursuivre cette idée. Quand je vois le nombre de préventes sur mon site, je me dis que la démarche a plutôt bien fonctionné. C’est même l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de décaler la sortie de « L.U.J.I. » : il y a eu une telle demande que je ne pouvais pas le sortir à la va-vite, je voulais prendre le temps d’en presser de nouveaux exemplaires afin que tous ceux qui ont précommandé le disque puissent le recevoir en même temps.
Tu as récemment participé à un Planète Rap. C’était comment d’être seul dans un studio habitué aux débordements ?
Pour des raisons de sécurité, on a tout enregistré le même jour et en équipe réduite. C’était bizarre, dans le sens où tu es seul dans le studio avec Fred Musa et que tu es moins « porté » par la pression du direct, mais je suis bien content de l’avoir fait. C'est une émission importante pour moi, et on a créé un EP de toutes pièces pour l'occasion : chaque titre joué était ensuite dispo sur les plateformes de streaming dans la foulée. Ça a créé un EP « éphémère ». Quant à Planète Rap, ça reste une émission importante dans l'histoire du rap français. Personnellement, j'ai découvert énormément d'artistes dedans. À 12 ans, c’est là que j’ai entendu Orelsan pour la première fois.
Sur cet EP, il y a une vraie influence de Post Malone, non ?
Étrangement, je n’ai pas tant saigné que ça cet artiste. Il ne m’a jamais convaincu sur un album entier, peut-être qu’il est trop pop parfois. Mais je comprends ce que tu veux dire. Ça doit venir du fait qu’on a des influences communes : il y a ces références à Nirvana, l’utilisation de l’Auto-Tune et cet amour de la guitare.
Il y a aussi cette mélancolie, très présente à l’heure actuelle. Elle vient d’où, selon toi ?
Je dirais qu’il y a surtout moins de tabou à être sensible dans le rap. Et puis il y a aussi cette vérité : les émotions mélancoliques et les mélodies tristes suscitent davantage d'émotions que les mélodies enjouées. Personnellement, quand je fais le topo, je me rends compte que mes chansons préférées sont en grande partie des chansons tristes. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que je trouve aux morceaux joyeux un côté un peu plastique, un peu fake, un peu bisounours. À moins d’être Pharrell, mais tout le monde ne peut pas écrire des chansons comme Get Lucky ou Happy... L'idée, bien sûr, n'est pas de passer pour un artiste torturé, il y a toujours une forme d'espoir dans ma musique, mais j’ai tendance à penser qu’un artiste perd de sa saveur quand il est trop heureux.
De ton côté, j’ai l’impression que tu as trouvé le bon équilibre entre tes paroles, presque désabusées, et tes mélodies, plus enjouées que par le passé.
J’aime beaucoup ce contraste. Le même que l’on retrouve dans Polly de Nirvana : on ne dirait pas comme ça, parce que c’est une ballade hyper mélodique, mais Kurt Cobain se met à la place d’un mec qui a séquestré sa meuf. C'est ultra sombre, et pourtant, tout le monde a envie de fredonner cette chanson. C’est dire si le contraste est fort. Et puis ça me permet d’aborder des sujets profonds sans être trop frontal. Ça rend le propos plus digeste, et ça m’inspire.
Sur Palapalaba, tu évoques les paras de MDMA. Tu penses que cette façon de consommer la fête jusqu’à l'excès est une tentative pour toute une génération de soigner son spleen ?
Ce morceau est plus un constat qu’autre chose. Personnellement, je ne consomme pas de drogue, mais j’aime en analyser l’effet sur les gens. Cette recherche de paradis artificiels, j’ai l’impression que ça reflète bien notre époque et notre génération, archi paumée et perpétuellement à la recherche de bonheurs éphémères. Un peu comme si ces excès nous permettaient de mieux gérer, même si ça fait mal de voir ses potes tomber là-dedans.
Sur Ahou, tu fais référence au monde de la nuit. Tu es comment en club ?
Exactement comme je le dis dans le morceau : avec une capuche sur la tête, les yeux rivés sur le sol... Je n’aime pas sortir, et je n’ai jamais aimé cette pression sociale qui veut que si tu ne fais rien un vendredi ou un samedi soir, ce n’est pas bien. On te fait croire qu’aller en club, c’est profiter de la vie, mais la vérité, c’est que j’ai très vite envie d’être chez moi quand je suis dans ces endroits-là. Y jouer les DJ, c’est encore autre chose. Mais y aller pour danser, ce n’est pas vraiment pour moi. Mais bon, peut-être que ce serait différent si j’apprenais à danser.
C’est ça que tu vas faire maintenant que le confinement est terminé : apprendre à danser ?
Non, je vais surtout en profiter pour finaliser mon album, tourner un clip et entamer les répétions pour la tournée qui s’annonce à la rentrée. Je pense que je vais retourner à Rennes quelques temps également. J’ai envie de quitter un peu la grande ville.
« L.U.J.I. » sera disponible le 22 mai.