2018 M03 19
Tu parles de « H+ » comme d’une continuité du travail entamé avec Air. Tu n’as jamais envisagé de profiter d’être en solo pour prendre la tangente de ce que tu proposais en duo ?
Disons que l’on est toujours plus libre en étant seul, mais que je n’aime pas forcément cette position. Pour moi, la musique s’envisage d’un point de vue collectif… Mais là, « H+ » est un cas de force majeure, dans le sens où Air n’existe plus et que je me vois donc contraint de continuer mon chemin. À l’époque de Darkel, Air existait encore, il y avait donc la nécessité de proposer quelque chose de différent. Là, je poursuis ma démarche, même si je la maitrise mal…
C’est-à-dire ?
Il faut savoir que mon inspiration vient du plus profond de mon être ou de mon inconscient, il est donc logique que je ne maîtrise pas tout. La façon dont un morceau prend forme résulte d’un fil conducteur psychologique incompréhensible pour moi. Je suis un peu comme ces ingénieurs du CNRS qui font des expériences, tombent sur une piste et la suivent. Moi, c’est pareil : je fais ce que je peux, à défaut de pouvoir faire ce que je veux.
Hold On, l’un des premiers singles, me fait un peu penser à ce que tu avais pu accomplir aux côtés de Charlotte Gainsbourg. C’est volontaire ?
Non, du tout, mais il est clair que « 5:55 » a été une étape importante dans ma carrière, dans le sens où il m’a permis de travailler avec Nigel Godrich et d’appréhender la présence de la voix dans une chanson. Jusqu’alors, on ne faisait que des rythmes de voix avec Air. Là, c’était la première fois que l’on travaillait avec une voix omniprésente de la première à la dernière chanson de l’album. Forcément, ça change l’approche de la composition.
L’autre single de ce disque, c’est Transhumanity. Pourquoi cette fascination pour ce mouvement culturel et intellectuel ?
Actuellement, c’est un courant qui défie la chronique partout dans le monde. C’est à la fois philosophique, poétique et scientifique, quelque chose qui permet à tous ceux qui y adhèrent de donner leur prévision pour l’avenir. C’est ce que je fais sur « H+ », où je joue au techno-prophète, un rôle qui me permet de tourner constamment autour de ce thème. Et puis c’est logique quand on me connaît un peu. Dans tous mes albums, j’ai cherché à explorer un ailleurs, à rechercher l’évasion, à composer des musiques planantes afin de sortir de nos sociétés et de nos problèmes urbains. Pour moi, ce sont des thèmes universels, des choses qui peuvent permettre à mes morceaux d’être écoutés dans cent ou deux-cents ans.
La machine est vraiment devenue le prolongement de l’homme, selon toi ?
Ce qui est sûr, c’est que les musiciens sont de plus en plus des pilotes de machines que de véritables compositeurs. On laisse les machines s’exprimer avant d’embellir le résultat qu’elles produisent. Ça s’entend notamment dans les musiques urbaines. Ou du moins, dans celles qui passent à la radio où l’on entend systématiquement un humain qui chante sur une programmation. Pour ce qui est de l’émotion, en revanche, les machines ne pourront pas remplacer l’humain.
Il y a des œuvres de science-fiction qui t’inspirent particulièrement ?
J’aime beaucoup la B.O. de Cliff Martinez pour Solaris. Je la trouve extrêmement planante, assez inquiétante et très spacieuse. C’est un peu ce que je cherche à faire lorsque je compose une musique de film, même si j’essaye toujours d’aller plus loin, de servir l’image et de mettre en son une musique intelligente, profonde, qui se nourrit des grandes œuvres de la musique classique.
Ces dernières années, tu as toi-même été à l’origine de plusieurs B.O.. Est-ce que tu envisages « H+ » comme la bande-son d’un film imaginaire ?
Peut-être, oui. Mais il faudrait retirer la voix, dans ce cas. Là, j’ai vraiment cherché à faire un album de chansons, taillé pour la scène. Ce travail sur la voix, ça a d’ailleurs été le gros challenge lors de l’enregistrement de « H+ ». Le prochain album, en revanche, sera sans doute plus conceptuel, avec différents instrumentaux. Au sein de Air, on avait tendance à regrouper toutes ces intentions au sein d’un même album, mais l’époque a changé. Avec le streaming, je préfère détacher clairement toutes ces intentions.
Si je comprends bien, ta façon de composer tes albums évolue en fonction des modes de consommation des auditeurs ?
Oui, et c’est d’ailleurs pour ça que les cinq premières chansons de l’album sont les plus accessibles, ce sont celles qui risquent d’être d’écoutées en premier par la majorité des gens sur Spotify. Ce n’est qu’ensuite que l’album se dilate avec des mélodies plus étranges, à destination de mes fans hardcores.
Est-ce à dire que tu penses avant tout aux singles avant de penser à la cohérence du projet ?
Il m’arrive bien sûr de réfléchir en terme de single, ne serait-ce que pour trouver le premier titre de l’album ou le premier clip, celui qui va définir l’esthétique de l’album. Cela dit, je veux continuer de penser à ceux qui boivent du thé le dimanche après-midi en écoutant leur vinyle. Je fais exactement pareil, donc cela me semble important de poursuivre cette démarche. Et puis, qui nous dit que le mode de consommation de la musique ne changera pas d’ici les prochains mois ?