Des têtes de Turques chez Erdogan

  • À quoi ressemble votre vie de musicien lorsque vous faites partie d’un duo féminin coincé entre Istanbul et la Syrie et que votre président semble tout droit sorti du 1984 de George Orwell ? C’est ce qu’on a été demander à Kim Ki O, groupe de dream-pop punk qui milite avec ses synthés contre la répression d’Erdogan. Putsch the button and play.

    On ne vous l’apprend pas, vivre de sa musique n’est pas donné à tout le monde et c’est encore pire en fonction de l’endroit où vous êtes né(e). Si vous pensiez déjà faire de la musique de niche et n’avoir aucune chance de percer au pays de Kendji Girac et Louane, il est temps de relativiser en lisant le témoignage de Berna et Ekin, fondatrices de Kim Ki O, l’équivalent de Poni Hoax sous un éventuel gouvernement Morano.

    Quand le mouvement contestataire de la place Taksim est né en 2013, vous disiez faire partie d’une génération d’artistes turcs « plutôt apolitiques et qui ne ressentaient pas le besoin de critiquer le gouvernement ». Trois ans plus tard, après le coup d’État raté et les purges du 15 juillet 2016, est-ce toujours le cas ?

    Berna : Oui et non. Notre génération a été témoin de l’accession au pouvoir de l’un des gouvernements les plus oppressifs que la Turquie ait jamais connu. Nous réagissons donc à ce qu’il tente de nous imposer. D’un autre côté, il existe une grande confusion politique dans notre génération, qui ne sait souvent pas grand-chose de l’histoire récente du pays. Ce qui fait qu’au final, toute position politique est souvent tout simplement inutile.

    Ekin : Notre approche dans Kim Ki O a toujours été de tenter de s’imprégner des traumas politiques et sociaux afin d’en tirer des chansons très personnelles. Nous nous y exprimons mieux qu’avant, notre conscience a grandi et pas seulement depuis le 15 juillet. Mais ça fait maintenant un bon bout de temps que les choses en Turquie sont mauvaises et bordéliques. On ne se sentait pas plus en sécurité dans ce pays avant le coup d’État raté et rien n’a changé depuis. La liberté de parole, les droits humains et la sécurité n’y sont plus garantis depuis longtemps.

    Où tourne un groupe turc qui chante majoritairement en turc ? En Europe ? Au Moyen-Orient ?

    Ekin : C’est clairement pas facile. Il faut se dégotter les contacts mais aussi que cela soit économiquement porteur. En dehors d’Istanbul, il n’y a en fait que quelques villes où nous pouvons nous produire parce qu’à moins d’être un « gros » artiste, le concept de tournée nationale n’existe pas vraiment en Turquie. En Europe, par contre, on a réussi à tourner en première partie de bons groupes. Mais ça reste compliqué.

    Berna : Le Moyen-Orient n’a jamais vraiment été une option, encore moins depuis que s’y déroulent quelques guerres de plus ou moins longue durée.

    « En Turquie, le rock et le hip-hop occupent une place importante. »

    À part vous, Baris K et Zafer Dilek, qu’est-ce qui s’écoute en Turquie en dehors du mainstream?

    Ekin : L’offre musicale est plutôt variée en Turquie mais si on veut généraliser, comme partout, le rock et le hip-hop occupent une place importante.

    Berna : On a aussi une scène metal qui est là depuis toujours. Et des tentatives de mixer des choses avant-gardistes, expérimentales et psychédéliques à des sons plus traditionnels et locaux. La musique électronique, par contre, est un peu moins présente.

    Ekin : Ces scènes se sont assez bien développées ces dernières années, mais là, on peut difficilement dire qu’elles sont « vibrantes », vu ce qui se passe actuellement en Turquie.

    Cela fait dix ans que Kim Ki O existe. Un bilan ?

    Ekin : On n’a pas de manager, on s’occupe de tout nous-mêmes, on fait en sorte de pouvoir se procurer le matériel dont on a besoin, de pouvoir travailler en studio et de faire fabriquer le merchandising. Mais à part ça, on a consciemment choisi de ne pas vivre de la musique, ce serait beaucoup trop stressant. Mais on sent que des choses excitantes peuvent arriver. Nous travaillons sur du nouveau son, des sorties sont prévues. C’est une nouvelle étape et c’est très important dans ce que nous faisons de garder intacts l’enthousiasme et la motivation ; ce qui n’est pas facile avec ce qui se passe en Turquie et dans nos vies. Nous venons de traverser des moments sombres où il a été assez compliqué de nous projeter dans l’avenir.

    http://www.kimkio.org/