2016 M10 2
Il est là au bon moment. Cliff Martinez nait en 1954, la même année qu’Elvis Costello, Jackie Chan et François Fillon. Appartenir à cette cuvée de baby boomer signifie avoir 23 ans au peak-time punk de 1977. C’est justement l’âge auquel Cliff Martinez débarque en Californie après avoir passé son enfance dans l’Ohio. Le jeune batteur rêve de rejoindre la scène de L.-A. : il jouera avec The Dickies, dont il est fan. Après deux albums avec Lydia Lunch et un avec Captain Beefheart (« Ice Cream For Crow »), Cliff rejoint les Red Hot Chili Peppers.
Il est là. Partout. Depuis toujours. Dans un coin de votre tête, dans votre culture d’Occidental peu sportif, dans un paquet de popcorn sucré du dimanche soir. Sexe, Mensonges et Vidéo, Grey’s Anatomy, Traffic (une nomination aux Oscars pour la musique) : c’est lui. Contagion, Spring Breakers, Only God Forgives : encore lui. Drive (à part le tube qui fait lalala), The Knick, The Neon Demon : à votre avis ? Sous Surveillance, Solaris, le jeu Far Cry 4 : t’es con ou t’es con ?
Si vous avez besoin de remplaçant, il est là aussi. Les Red Hot Chili Peppers ont fait le succès de Cliff et réciproquement. En 1984, la bande à Kiedis entre en studio avec un problème : ils ne peuvent pas employer leur batteur et leur guitariste habituels, en contrat avec un autre groupe. Martinez est parachuté. Il enregistrera avec eux sur les deux premiers albums du groupe, dont le funk est carrément obèse (la basse de Flea écrase tout). Cette expérience aura deux effets : d’un côté les Red Hot explosent, de l’autre Cliff découvre en studio comment faire de la musique seul avec des boîtes à rythme. Il quitte le groupe juste après.
Même quand il n’est pas là, il est là. Si Kavinsky vole la vedette sur Drive, c’est quand même Martinez qui est allé le chercher. Dans le dernier film de Nicolas Winding Refn, The Neon Demon, c’est le morceau de son propre fils Julian Winding qui va mettre les ménagères en transe façon Mark Bell : The Demon Dance. Mais le reste de la B.O., le côté flippant, les ambiances Blade Runner et compagnie : tout est de Cliff.
Maintenant qu’il est là, il fait ce qu’il veut. Il a développé la technique de travail de confiance, qu’on appelle dans les écoles de communication : « La méthode j’encule le brief. » Ce savoir-faire remonte à l’époque où il bossait pour la série comique Pee-Wee. C’était quartier libre : « La production faisait appel à Stanley Clarke, Devo, The Residents. Tous les compositeurs pouvaient essayer ce qu’ils voulaient, c’était assez avant-gardiste. J’ai donc suivi leur exemple. Depuis, j’ai remarqué que je travaillais beaucoup mieux quand on me laissait faire ce que je voulais ha ha. »
Il est là mais il est avant tout avec Steven, ok ? En signant la majorité de ses bandes-sons pour les films de Soderbergh (dix longs métrages contre trois pour Refn), il développe une relation unique avec Steven. « Il m’a vraiment aidé à évoluer et à me perfectionner pendant toutes ces années, dit-il en comptant les vingt-six années de leur relation. Ce que j’ai remarqué c’est que plus on se connaît, moins on se parle, c’est comme si on communiquait par télépathie […] et il n’a jamais besoin de me dire ce que je dois faire, ni ce que je ne dois pas faire. » OK ?
Il est là mais nous, on ne sait plus où on est. Solaris, son « hit », donne vraiment l’impression qu’on ne sait plus où on est. Sans jeu de mot : c’est atmosphérique (désolé) alors qu’on pourrait trouver Hans Zimmer plus terre-à-terre ou Carpenter plus Carpenter Brut. Parce que Martinez fait des gros mélanges ambiant, électro et orchestre : « Si tu arrives à mélanger trois ou quatre artistes différents, ça passe comme étant original [Rires]. Only God Forgives en mélange une dizaine, dont Goblin, Philip Glass, Ennio Morricone et de la pop thai. Quand tu mélanges tout ça, tu ne peux plus rien identifier à la fin. »