2022 M05 4
C'était en juillet 2014. Pour la première fois depuis 1983, année de sortie de son premier album, le comédien et chanteur américain « Weird Al » Yankovic se retrouve en tête des ventes d'albums aux États-Unis. Mieux, il est le premier comique depuis 1963 à dominer les ventes musicales américaines, écoulant 104 000 exemplaires de son quatorzième album (« Mandatory Fun ») en à peine une semaine. Ce qu'on y trouve ? Tout ce qui fait le style de Yankovic : des reprises parodiques de tubes connus de tous (Happy et Blurried deviennent respectivement Tacky et Word Crimes, sorte de brûlot absurde contre les fautes de grammaire), de l'autodérision, des pastiches et, derrière l'humour, une critique plus ou moins fine du monde moderne.
Avec le temps, Alfred Matthew Yankovic (son nom à l'état civil) est devenu une petite légende, validée par les institutions (il a remporté cinq Grammy Awards) et le grand public (près de 14 millions d'albums écoulés). Surtout, il incarne mieux que d'autres cet humoriste qui a parfaitement su s'adapter aux évolutions de l'époque. Car, oui, depuis sa première chanson comique en 1976, le monde a incroyablement changé : les humoristes privilégient YouTube à la télévision, des internautes s'amusent à détourner plus vite que leur ombre le moindre évènement, les ventes d'albums sont en chute libre et des humoristes peuvent désormais se faire baffer pour un mauvais sketch.
Pas du tout effrayé à l'idée de se renouveler, ce que pourrait venir contredire son personnage culte (un chanteur de polka accompagné de son accordéon), Al Yankovic a au contraire fait corps avec tous ces changements, délaissant les plateaux pour développer sa chaîne YouTube (2,25 millions d'abonnés), abandonnant le format album pour des singles publiés de façon ponctuelle, etc. En gros, Al Yankovic, c'est un peu une version augmentée de Laurent Gerra qui aurait quitté le canapé rouge de Michel Drucker pour se confronter aux nouvelles générations plutôt que leur cracher dessus en imitant depuis trente ans des vieilles gloires de la variété.
À l'origine, rien de prédestinait pourtant Al Yankovic à faire rire l'entertainment américain. Né en 1959 de parents a priori éloignés du milieu artistique, le Californien tombe même amoureux de l'accordéon à seulement huit ans : au sein d'une époque qui s'apprête à plonger dans l'expérience psychédélique, le choix paraît étrange. Pourtant, ce fan de Frank Zappa et Elton John va peu à peu apprendre à faire de l'accordéon un instrument rock, un moyen pour lieu de concilier sa passion pour la musique et son amour des comédies de l'époque (les Monty Python, les films de ZAZ).
Rapidement, tout s'enchaîne : ses parodies de Michael Jackson (Eat It, Fat) remportent un vrai succès populaire, CBS lui propose d'animer sa propre émission à la fin des années 1990 (The Weird Al Show), les séries télé le sollicitent (Les Simpson, 30 Rock, How I Met Your Mother), les maisons d'édition également (on lui doit quelques livres pour enfants), tandis que la plupart des artistes parodiés (Pharrell, Madonna, Paul McCartney...) se disent flatter de l'intérêt porté par Yankovic à leur travail.
À présent, c'est au tour du comique américain de se dire honoré par la sortie prochaine d'un biopic, Weird : The Al Yankovic Story, et plus particulièrement du choix de monsieur Harry Potter dans le rôle principal. « Je suis enchanté que Daniel Radcliffe m’interprète dans le film. Je n’ai aucun doute que c’est pour ce rôle que les générations futures se souviendront de lui », a-t-il déclaré. Autre option, plus probable : c'est surtout grâce à ce long-métrage que le public non-américain prendra conscience de l'incroyable carrière de Weird Al Yankovic, et comprendra peut-être son goût improbable pour les chemises hawaïennes.