2021 M02 3
Depuis la disparition de Fela Kuti le 2 août 1997, le patronyme n'a jamais perdu de son éclat, ni quitté l'agenda de l'industrie musicale. Il y a déjà l'impact du Nigérian en tant que tel : rarement un musicien africain aura autant marqué son époque, aussi bien grâce à la modernité de ses compositions, toujours portées par un groove incendiaire et un souffle révolutionnaire, que par sa démarche, clairement politisée - pensons ici à son bras de fer avec les juntes militaires qui défilèrent à la tête du Nigeria dans les années 1970-1980.
Avec le temps, d'autres Kuti ont poursuivi et prolongé le travail développé par cette figure tutélaire. Il y a trois ans, Jack rencontrait d'ailleurs Seun Kuti, qui nous expliquait en quoi les voyages avec Fela, son père, avaient contribué à son éducation musicale : « Ça été hyper bénéfique de pouvoir voyager à travers le monde, de découvrir des paysages, des gens et des atmosphères inédites à chaque fois. Et puis le fait de côtoyer en permanence des musiciens a forcément guidé le reste de ma vie. »
Aujourd'hui, c'est un autre enfant de Fela Kuti qui fait l'actualité, Femi, ainsi que le fils de ce dernier, Made. Le premier avec « Stop The Hate » ; le second avec « For(e)ward » : deux albums réunis au sein d’un même coffret au titre éloquent (« Legacy+ »), qui en disent long sur la furie créative qui agite cette famille depuis des décennies : entendre Free Your Mind, Higher You’ll Find ou As We Struggle Everyday, c’est ainsi s’ouvrir à des morceaux qui s’approprient les codes de l’afrobeat sans jamais céder à l’imitation.
Quand les chansons de Femi Kuti se révèlent particulièrement envoûtantes, quelque part entre la transe cathartique des pionniers de l'afrobeat et des harmonies subversives, celles de Made lorgnent plus clairement vers la nouvelle jazz londonienne (Ezra Collective ry Kokoroko, dont la première trace discographique était justement une reprise de... Fela Kuti), ne serait-ce que parce qu’il a étudié au Trinity Laban Conservatoire of Music and Dance de la capitale anglaise (à l’instar de son grand-père, quelques décennies plus tôt), mais aussi pour cette façon d'être perpétuellement en équilibre entre rigueur et élasticité, entre salves de cuivres sophistiquées et convergence de rythmes qui captent l'oreille.
Sur le fond, c’est aussi prêter une oreille à des morceaux qui, derrière cette science du groove aussi imparable que sophistiquée, trahissent l'activisme de la famille Kuti - rappelons que Femi et Made ont participé avec force aux manifestations contre les brutalités policières, à Lagos, en automne dernier, celles qui ont conduit à la dissolution d'une unité spécialise accusée d’arrestations arbitraires, de tortures et même d’assassinats.
Dans le clip de Free Your Mind, Made va même jusqu'à compiler des images du New Afrika Shrine, haut lieu de culture et de contestation politique fondé par Fela. Une façon d'entretenir la démarche singulière de cette dynastie familiale.
Une façon également pour ces multi-instrumentistes de rappeler que l’afrobeat est et reste une musique extrêmement vivante, qui n’a jamais cessé de créer des vocations (de Miles Davis à Jay-Z, beaucoup ont mentionné l’influence de Fela Kuti) et qui semble perpétuellement ouverte à l’inconnu, au mélange des cultures.
Cette énergie, cette folie créative s'entend d'ailleurs à l'écoute de « Stop The Hate » et « For(e)ward », deux disques qui refusent la sédentarité, qui prônent la diversité sans jamais tomber dans l'expérimentation fumeuse et qui sont taillées pour tout, sauf pour être écoutés tranquillement installé dans un fauteuil en se grattant la barbe. Ce sont des disques qui parlent de corruption (You Can’t Fight Corruption With Corruption), du sang qui coule en Afrique (Blood), du cri de colère des nouvelles générations (Young Boy/Young Girl), et c’est aussi en cela qu’ils sont importants.
À paraître vendredi 5 février, « Stop The Hate » et « For(e)ward » sont publiés sur Partisan Records (Fontaines D.C., IDLES, Cigarettes After Sex).