2020 M02 27
Nouvelle ère. Au début de la décennie 2010, le rap fait grise mine : les disques se téléchargent en masse mais ne se vendent plus, Kery James tente maladroitement un morceau dubstep (et c’est gênant), la presse spécialisée disparaît peu à peu des kiosques et les rois sans couronne (Salif, Nessbeal, Nubi, Nakk, etc.) se contentent injustement d’un vulgaire succès d’estime – façon de dire que, malgré leur talent et leur popularité sur Internet, le rap ne leur permet pas de s’acheter un chalet à Megève.
Au même moment, on ne le sait pas encore, mais une nouvelle génération de rappeurs commence à se réunir dans des bars ou des caves, inspirée par les WordUp !, des concours de battle nés au Québec. Ainsi naissent les Rap Contenders, « la première ligue de battle rap a capella en France », dont le premier concours se déroule à l’ancienne, sans un sou et au fond d’une chicha du quartier de Dony S, le cofondateur.
« Rap Contenders, c'est le MMA du spectacle. » Si les débuts sont difficiles, notamment dans la programmation des MC, pas forcément enthousiastes à l'idée de venir se faire vanner, la suite est un vrai succès. Côté stats, c’est indéniable : la chaine YouTube Rap Contenders compte 516 000 abonnés et plus de 135 millions de vues. Mais également d’un point de vue musical, tant ces battles ont contribué à révéler des rappeurs qui s'imposent aujourd'hui comme les poids lourds du rap hexagonal : Dinos, Jazzy Bazz, Nekfeu (dont la page YouTube comptait à peine 3000 vues à l’époque…), Big Flo & Oli ou encore Alpha Wann. Et si certains ne sont pas encore totalement au niveau (« Après le fiasco du Rap Contenders », rappe a posteriori Alpha Wann sur Cascade Remix), la plupart ont bien conscience de participer à une nouvelle dynamique au sein du rap français. Nekfeu, le premier : « T’écoutais pas de rap avant les RC, tu ferais mieux de me remercier », clame-t-il fièrement sur Squa.
« Je ne sais pas si on a participé à un renouveau, expliquait Dony S à SURL, mais je pense qu’on a écrit une page de l’histoire du rap français. Si tu m’avais dit ça quand j’avais 11 ans, je n’y aurais même pas cru. Je ne rêvais que de ça quand j’étais gosse. Je ne rêvais pas de devenir une star, je rêvais de marquer le mouvement hip-hop et c’est ce qu’on a fait. Là-dessus, on a réussi. »
Drop the mic. À travers ces joutes oratoires, élevées au rang d’art par des rappeurs tels que Wojtek et Deen Burbigo, c’est donc toute une génération qui a pris le temps de se former, loin des maisons de disques et des disques d’or. Loin de Paris également, tant Rap Contenders semble avoir donné confiance aux rappeurs venus de province et des banlieues pavillonnaires, à l’image d’Orelsan, dont l’univers a probablement été rendu crédible, même indirectement, grâce à la hype autour de ces concours.
À l’époque, tous ces rappeurs entretenaient une saine nostalgie avec le premier âge d’or du rap français ; pas pour rien si Nekfeu et Alpha Wann ont fait partie de 1995, un crew nommé en référence à la date de sortie du premier album des Sages Poètes de la rue. Tous ont accompagné le succès de Rap Contenders, dont les évènements s’organisent rapidement dans des salles réputées, comme la Flèche d’Or, le Cabaret Sauvage ou le New Morning. Tous, enfin, ont largement contribué à donner un nouveau souffle à un genre alors en bout de course, selon une maitrise de la langue française et un sens de l'humour imparable : « Le rap c’est bien sympa mais t’assures pas gros / Faudrait que j’te casse un bras pour qu’tu fasses une radio. »