2018 M03 20
Enchanté, Kung-Fu Kenny. C’est le 14 avril 2017, date de sortie officielle de "DAMN", que les présentations sont faites. Depuis quinze jours le morceau Humble est déjà un succès planétaire puisque tout le monde s’extasie devant le clip et s’égosille à chanter : « Be Humble ! Sit Down ! » L’album est tellement dense et tortueux que plusieurs théories font surface : la plus connue étant qu'il raconterait une histoire différente suivant son sens de lecture, mais aussi qu’un second album devrait sortir dans les jours à venir pour finaliser le projet. Au cœur de tout cet engouement, on en arriverait presque à oublier que Kendrick Lamar s’était présenté sous son nouveau nom quelques jours plus tôt: Kung-Fu Kenny, « un maitre dans sa discipline avec toutes les techniques pour écrire des chansons ».
Kung Fu Kenny.
— Kendrick Lamar (@kendricklamar) 31 mars 2017
DAMN marque l’arrivée d’un tout nouvel état d’esprit pour Kendrick Lamar. Débute alors une phase de transition vers le point le plus culminant de son art, celui où il emploiera ses techniques les plus acérées pour détruire la concurrence : « Je veux avoir la meilleure plume, n’importe qui présent sur le morceau, je veux le détruire, peu importe qui il est, que ce soit par les schémas de rimes, par les métaphores, les _punchlines ou les jeux de mots_.” Derrière le mot « art » il compte bien rajouter « martial » et ce changement passe par l’arrivée d’une esthétique très marquée années 1970. Dans les vêtements déjà, mais aussi et surtout dans le jeu de scène. Sa prestation au festival Coachella était ainsi l’occasion de voir pour la première fois The damn legend of Kung Fu Kenny, un court-métrage résolument rétro où l’on voit Kendrick enchaîner toute une panoplie de coups avant de se mettre en quête de la lumière.
La discipline comme seul maître. En adoptant son nouveau patronyme, Kendrick ne fait que poursuivre une tradition remontant aux débuts du hip-hop. Sans partir dans des explications interminables, il faut s’imaginer que ce mouvement musical prend ses racines dans le bitume new-yorkais. Comme une image rémanente de la classe ouvrière des années 1970, le hip-hop porte en lui les souvenirs de cette jeunesse élevée devant les films d’action hongkongais qui passaient en boucle dans les salles de cinéma et à la télévision. Ces films à moindres coûts faisaient le bonheur des enfants afro-américains en leur proposant pour la première fois des héros qui, comme Bruce Lee, n’étaient pas blancs et combattaient contre l’injustice de l’État. Selon Adisa Banjoko et Joseph Schloss, c’est aussi l’arrivée d’un nouveau modèle d’apprentissage, affranchi de toutes contraintes économiques : il fallait seulement être discipliné et travailler. Dans les films de kung-fu, les protagonistes apprennent d’un maître et pratiquent de manière obsessionnelle pour développer de nouveaux styles.
Et puisque ces films étaient ancrés dans le quotidien des enfants de l’époque, ils ont fini par grandir en voulant adopter ce modèle de self-made men à la fois humbles et disciplinés, et pour qui l’apprentissage est la pierre angulaire du développement personnel. Bien sûr, l’exemple le plus probant est l’album du Wu-Tang « Enter The Wu-Tang (36 Chambers) », enregistré en référence au film La 36e chambre de Shaolin.
Chacun ses influences. Malgré tout, Kendrick reste plus jeune que les rappeurs du Wu-Tang, du coup ses influences sont plus contemporaines. Pour Kung Fu Kenny, il a avoué s’être inspiré du personnage de Kenny joué par Don Cheadle dans le film Rush Hour 2. Un peu moins classe que les films des années 1970 comme référence, mais pour aller jusqu’au bout de son idée Kendrick a invité l’acteur dans le clip de DNA où il joue l’un des rôles principaux. En prenant cette histoire en compte, le clip prend une tout autre tournure. En tout cas, Don Cheadle était tellement impressionné par le rappeur qu’il n’avait même pas fait le rapprochement entre les deux personnages. C’est Kung Fu Kenny lui-même qui a dû lui passer un coup de fil pour qu’il finisse par réaliser.