14 ans et toujours pas l’âge de raison pour le Berghain

  • Alors qu'un parti d’extrême-droite (AfD) vient de déposer une demande de fermeture du mythique club berlinois, on fait le point sur la folle histoire du Berghain, l'endroit qui refuse de dormir depuis 2004.

    On connaît l’histoire du lieu. Le Berghain nait sur les cendres d’un club gay, le Ostgut (donnant son nom au label Ostgut Ton), qui ferme en 2003. Le couple de patrons, Michael Teufele et Norbert Thormann, entend parler de cette centrale désaffectée en bordure des quartiers de Kreuzberg et Friedrichshain ; une bâtisse aux allures de temple haut de 18 mètres sous plafond, à l’architecture industrielle simple et divisible. Mine de rien, c’est plus un complexe de la fête qu’un simple club qu’ils s’apprêtent à ouvrir, du samedi minuit au lundi midi. Leur entreprise va transformer les weekends de la capitale. Désormais, ils dureront trois jours.

    Trois salles, trois ambiances. Inauguré en décembre 2004, le lieu se découpe aussitôt en plusieurs clubs. Le Berghain, dédié à la techno la plus dure, occupe la moitié de l’espace de l’immeuble de quatre étages au dernier desquels est posé, dans une veine plus house, le Panorama Bar. Dans les sous-sols évoluent un troisième lieu, détaché du Berghain, le Lab.Oratory, réservé aux homos, et où la folie des soirées fetish (au programme : fist, pisse et crotte) a fait les choux gras de la presse cul-culturel, sans pour autant parvenir à faire de l’ombre au Berghain, à priori ouvert à tous (selon l’humeur du videur).

    Chaque weekend, 3000 clubbers. Ils se pressent, sont fouillés et payent leur tribu (environ 15 euros, soit 100 francs : une modeste somme pour « le meilleur club du monde » selon les magazines), pour sortir de la vraie vie et s’oublier dans la fête la plus pure. « C’est musicalement très fort, mais pas assourdissant. Le son est vraiment pénétrant, donc c’est physique, on est pris, nous dit Marie Klock, journaliste et cliente occasionnelle. Les gens suent, on est proches mais il n’y a pas d’attouchements de merde, pas de propositions insistantes de drogues. Physiquement, c’est grisant. On oublie le temps. » Marie vit la moitié du temps à Berlin, elle compte une dizaine de passages dans le club. Mais les locaux ne sont pas les seuls clients.

    « Mon vol me coûtait moins cher qu’un TGV Paris-Saint-Nazaire.« 

    Fin des années 2000. Avec l’abaissement des coûts du transport et la réputation grandissante du club, arrive une nouvelle catégorie de clubbers. Les « Easy-JetSetters » viennent en low-cost, posent leur bagages aux vestiaires et redécollent dans l’autre sens. Philippe Coussin-Grudzinski relate dans son roman, Voyages sur Chesterfield, ses voyages dans les nuages et les lights sophistiquées du Berghain. Easy-JetSetter confirmé, il explique : « En sortant moins mais mieux, mon vol me coûtait moins cher qu’un TGV Paris-Saint-Nazaire. Quand j’ai découvert le club, je suis devenu addict à cette musique et à ce lieu, tellement grand que tu n’es jamais oppressé. Il y a une forme de générosité dans la manière d’organiser la fête, tu peux rester 36 heures dans le club, les DJ peuvent jouer 6 heures. Tu n’as jamais un weekend avec un mauvais line-up. »

    Encore faut-il entrer. En être ou ne pas en être, telle est la grosse question, tant depuis ses débuts et jusqu’à aujourd’hui, les « conditions d’admission » nourrissent le mystère du club. À son entrée, des videurs – vous voyez certainement la tête de l’impayable Sven Marquardt, plus connu pour ses tatouages faciaux que sa collection de dinette – ne communiquent pas les raisons de leurs choix, donnant l’impression que – peu importe votre tenue – entrer au Berghain relève d’un jeu de dés invisibles. Quelques spéculateurs zélés donnent bien ci et des tips superstitieux (un haut noir transparent, une attitude gay-friendly, une étincelle dans les yeux, ha ha) pour passer la porte. « Je suis rentrée dix fois avec nippes et gros pull, explique Marie, et me suis faite recalée avec des amis ouvertement gays et ouvertement stylés. Tu vois aux couleurs de la foule qu’il n’y a précisément pas de règles, le reste n’est que rumeurs. »

    « Ce qui se passe au Berghain reste au Berghain.« 

    La rumeur et la nuit vit. Stable depuis douze ans dans sa politique de porte, de mélanges des publics, mais aussi d’image (aucune interview), la consigne interdit les photos dans cet endroit sans fenêtre, ne laissant que les souvenirs sortir du club. Et encore, « ce qui se passe au Berghain reste au Berghain » semble être le mot d’ordre pour préserver la liberté de ce club opaque. Marie : « Oh, ils ouvrent bien les persiennes avant un drop, dans une montée, pour faire voir le jour. Mais ça dure cinq secondes. »

    Réalité. Voilà pour l’épaisseur de la légende, qui à défaut de fasciner, continue, même douze ans après son ouverture, d’amuser ceux qui entendent parler du Berghain, comme les types qui ont développé cette application « guide pour entrer », ce simulateur de réalité virtuelle, ou cette attraction qui consiste à recaler des gens devant une fausse façade imitant l’entrée du club berlinois… Reste que nous n’avons pas encore parlé du son (meilleur du monde également, paraît-il) et des line-up : « Eh oui, confirme Philippe, comme si c’était la base au Berghain, là où ce n’est plus qu’une option dans beaucoup trop de clubs du monde. »

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