2021 M01 26
Une banlieue typiquement anglaise, une épicerie, un gang dont la violence s'exprime via les pitbulls allongés à leurs pieds, et des paroles qui repositionnent l’Angleterre face à son miroir impitoyable : il suffit d'observer la performance de Pa Salieu dans le cadre du Tonight Show de Jimmy Fallon pour comprendre que le rappeur anglais n'est pas du genre à se présenter sur la pointe des pieds, comme un élève en retard. Tout, chez lui, témoigne d'une vraie assurance : de son flow, imposant et riche de diverses influences (l'argot anglais, le wolof, le français), à ses interviews, où il affirme sans trembler qu'il est « la voix des sans-voix ».
« Des gens se font tuer tous les jours sans raison d'où je viens. Je ne m'attends pas à ce que quelqu'un puisse me comprendre. »
C'est que Pa Salieu est issu de ces quartiers où basculer du mauvais côté est plus simple que de persévérer dans le droit chemin. Lui-même a longtemps flirté avec l'illégalité : il y a six ans, l'Anglais est arrêté pour port d'arme blanche ; en 2018, son meilleur ami, le rappeur AP, décède après avoir reçu quelques coups de couteau ; un an plus tard, il reçoit à son tour une balle dans la tête à l'extérieur d'un pub de Coventry. « Si j'étais mort, je serais passé pour un criminel à leurs yeux », regrette-t-il, pointant du doigt le manque de considération du gouvernement vis-à-dis des délaissés. Avant d'ajouter : « Des gens se font tuer tous les jours sans raison d'où je viens. Je ne m'attends pas à ce que quelqu'un puisse me comprendre. »
Surtout pas grisé, peut-être même revanchard, Pa Salieu a visiblement choisi de passer à la vitesse supérieure ces derniers mois. « Shot me in my head and I’m still breathing », rappe-t-il dans Hit The Block. À 23 ans, il vient en effet de vivre une année complétement folle, qui témoigne d’un véritable intérêt de la part du public pour sa musique, de celle qui s’écoute comme une chronique en résonance parfaite avec les années 2020, une sorte de miroir tendu à notre époque. Des preuves ? Il y a notamment ce prix BBC Sound 2021, remporté haut la main, faisant de lui le successeur d’Adele, Ellie Goulding ou encore Michael Kiwanuka.
C’est toutefois dans un tout autre registre qu’évolue Pa Salieu, dont la première mixtape (« Send Them To Coventry ») se reçoit comme une giclée d’acide en pleine figure. Il y a déjà ce titre, emprunté à une vieille expression anglaise, comme pour dire que l’on souhaite rayer quelqu’un de sa vie. Il y a surtout ces quinze morceaux, où le Britannique d'origine gambienne mixe diverses influences (grime, dancehall, afrobeat) avec une impétuosité et un sens de l’urgence que ne renieraient pas certains groupes post-punk : une musique vénéneuse dont la beauté repose sur un adroit mélange entre des paroles qui contiennent tout le romanesque du désenchantement urbain et des mélodies qui frappent juste, percutent avec intensité, sans fioritures.
Si l'intelligence musicale de « Send Them To Coventry » sidère un peu plus à chaque écoute, révélant un nombre d'idées fortes à la minute comme on n'en avait plus entendu depuis Stormzy, elle étonne d’autant plus quand on sait que Pa Salieu n’a commencé l'écriture qu’il y a trois ans, via des freestyles, quelques mois après le décès de sa grand-mère en 2016. Comme un moyen de tourner le dos au chagrin.
Depuis, l’horizon semble s’être éclairci : composé en vingt minutes à peine, Fortline cumule 3,7 millions de vues, tandis que le jeune homme a collaboré avec FKA Twigs et Mahalia, tourné avec Goldlink ou encore enregistré un morceau avec Gazo, grand manitou de la drill française ces derniers temps.
S’il dit rêver d’autres featurings avec des artistes français (Niska, Aya Nakamura, Kaaris), c’est bien un son typiquement anglais que Pa Salieu déploie dans des morceaux comme Block Boy ou My Family, deux hymnes, deux bangers survitaminés où il semble clamer son irrévérence dans un retentissant fuck off. Il y a même quelque chose de profondément intéressant à le voir dépeindre ainsi Coventry, #CityOfViolence, quarante ans après que les Specials ont fait de cette ville le symbole du déclin industriel en Angleterre.
« Coventry est une ville qui a reçu, par le passé, beaucoup de prisonniers de guerre. L’expression est restée depuis : "Être envoyé à Coventry ", c'est comme être excommunié, c’est être mis au ban de la société, c’est être discriminé, ostracisé, explique-t-il dans une interview à Pan African Music. Mais Coventry c’est ma ville, ma vie, mon univers. Cette mixtape, c’est une invitation au cœur de tout ça ! »