Que penser de "Ultra Mono", le troisième album XXL d'Idles ?

L'automne est arrivé et c'est tant mieux : le troisième long-format de ces Bristoliens nerveux est parfait pour les après-midis pluvieux passés dans une cave du nord de l'Angleterre à se foutre sur la tronche. Sans oublier de remonter de temps à autres pour gueuler sur l'état du monde alentour.

Dans le petit monde du rock anglo-saxon, sur ces trois ou quatre dernières années, aucun autre groupe n’a peut-être connu une telle ascension. Bon, il a fallu malgré tout écumer des rades miteux, publier des EP dans l'indifférence générale et enchainer les morceaux pour trouver la bonne formule, mais tout de même : depuis 2017, année de sortie du premier album (« Brutalism »), Joe Talbot et ses acolytes ont été nommés aux Brit Awards et au Mercury Prize, ont effectué des tournées sold out dans toute l'Europe et publié un live enregistré au Bataclan.

Sans pour autant avoir trouvé pleine satisfaction dans tout ce brouhaha : « Émotionnellement, je ne suis pas soigné, expliquait Joe Talbot à DIY Mag en juillet dernier. Je suis en train de guérir, et c'est ce qui apparaît sur le nouvel album. Il traite donc de la manière dont procéder pour trouver des voies pragmatiques pour aller de l'avant, et comment à partir de ta réaction face au traumatisme, tu peux construire quelque chose d'efficace et de beau. »

L’ingrédient nouveau qu’ajoute « Ultra Mono » à la rage et à l’urgence des albums précédents est une légère dose d'énergie hip-hop. Idles n'est plus seulement un collectif d'amoureux de riffs rugueux, épris d’électricité primitive, il se fait ici plus mesuré, peut-être moins indomptable, mais tout aussi sauvage et sans doute plus nuancé. Le risque, après tant de succès, aurait été de prendre un virage « pop », il n’en est rien : « Ultra Mono » est un disque au son puissant, parfaitement mixé par Kenny Beats, connu pour son travail auprès du gratin du hip-hop US (Freddie Gibbs, Vince Staples, Denzel Curry).

Ce n’est pas le seul invité de ce troisième album. Il y a aussi Jehnny Beth (ce qui n’est pas si étonnant !), Jamie Cullum (ce qui l’est nettement plus !) ou encore David Yow et Warren Ellis (ce qui est ni étonnant, ni logique, simplement une bonne nouvelle !) : cinq guests caractéristiques d’un groupe en quête de liberté, qui a su définir les contours précis de son univers et qui apprend aujourd’hui à l’ouvrir à d’autres fortes têtes ; entendre pour cela le flow parfois rappé de Talbot, qui n'a par ailleurs jamais caché son admiration pour le grime.

Du début à la fin, « Ultra Mono », mis en boîte dans les mythiques studios de la Frette, fait ainsi preuve d'une justesse vibrante dans ses textes autant que dans ses mélodies. Mieux, Joe Talbot y met parfois de côté sa rage juvénile (A Hymn, très beau, très envoûtant) et s'empare avec intelligence de sujets complexes : l'acceptation de soi, la vulnérabilité masculine, les pamphlets féministes (Ne touche pas moi) et les invectives politiques. « Do you hear that thunder ? », s'interroge-t-il sur Grounds, comme pour annoncer l’insurrection qui vient.

Car, même si les p’tits gars de Bristol paraphrasent Daniel Johnston en fin d’album (« Le véritable amour te trouvera à la fin »), c’est bien la virulence de leur son qui prend le dessus sur « Ultra Mono » : War, Kill Them With Kindness ou Anxiety ne laissent aucun doute quant aux ambitions d’Idles. Il est toujours question de guitares abrasives, de nervosité rythmique et de textes vindicatifs, aptes à soulever les foules, à les galvaniser et à provoquer le déboitement de leurs hanches dans des concerts où l'on n'a d'autre choix que de pogoter.