2022 M06 15
« Je suis en studio sans arrêt en ce moment. Ça me fait du bien de sortir et de parler. Je n’ai pas l’impression de faire une interview ». Quand on rencontre Mr Giscard à quelques semaines de la sortie de son premier album « :): », le jeune homme de La Courneuve est à moitié détendu. Le label attend encore les dernières chansons qu’il tarde à peaufiner. Mais il veut qu’elles soient exactement comme il le veut, lui qui fait tout seul (production, mix, etc.) et qui passe des nuits entières à composer ses futurs titres. Tout au long de l’entretien, qui en effet n’a rien d’une interview lambda, Valéry parlera de tout : des trajets qu’il faisait en RER pour aller à l’école, du fait de venir de banlieue et de vouloir percer dans la musique, des gens avec qui il rêvait de bosser, des moments gênants quand il faisait écouter sa musique à ses potes, du décalage entre sa perception de la musique et celle des maisons de disque, de la pop. Même du président Valéry Giscard d’Estaing. Il m’interrompt : « Tu vas mettre tout ça dans l’interview ? ». Non, juste une partie.
On est 2015. Valéry est fan d’un groupe électro de Lille intitulé Club Cheval composé de Myd, Sam Tiba, Panteros666 et Canblaster. Il tente de reproduire les sonorités qu’il entend sans connaître les logiciels, mais aussi sans les compétences. C’est là qu’il prend son nom de scène : « À ce moment-là, je taffe et dans ma tête je suis condamné à avoir un SMIC toute ma vie. La musique n'était pas un projet de carrière : je viens d'un milieu où devenir musicien n’est pas un métier envisageable. Sur SoundCoud, il y a des mecs qui s'appellent Young Maison, avec des noms pas possibles. Le choix de ce nom, ce n'était pas sérieux, tu vois ? ».
Il poste alors ses premiers sons sur la plateforme et poursuit en parallèle des études pour devenir luthier, qui l’emmènent à Montpellier, lui le gamin d’Argenteuil. « Quand je faisais écouter mes sons à mes potes, il y a avait des silences. Ils en avaient rien à foutre. Et j'ai un peu le traumatisme de ces moments un peu gênants. Ça me pousse à faire en sorte que la chanson soit cool assez vite et que l’on comprenne rapidement sa vibe. Je le fais pour éviter les malaises. »
Cinq ans plus tard, son premier single Pho fait des vagues. Entre temps, Valéry est entré en contact avec Canblaster et décide de collaborer avec lui pour l’album. Il se heurte alors aux labels qui ne connaissent pas bien l’ancien membre de Club Cheval, et surtout qui n’arrivent pas à saisir les liens entre sa musique à lui — pop, décompléxée, blasée et très actuelle — et les anciens membres de cette formation hybride et électro. « Je voulais absolument bosser avec Canblaster. Je balançais son nom quand je faisais des rendez-vous avec les maisons de disque, mais personne ne connaissait. Et quand ils connaissaient, ils étaient étonnés. Mais quand on parle musique et qu'ils se rendent compte que je ne viens pas de la pop — c’est presque un accident ce que je fais — on peut avoir des vraies discussions », raconte Valéry, posé à la table d’un hôtel parisien branché, loin du milieu où il a grandi.
Ce n’est pas son monde ici, mais c’est aussi l’envie d’y accéder qui l’a poussé à se lancer. Et à essayer de grimper l’échelle sociale avec sa musique, mais sans se trahir : « La pop aujourd'hui, c'est un truc de bourge. Et c'est ultra lisse pour passer en radio, donc tu ne vas pas entendre parler de HLM, de CDD, de précarité ou de se mettre des cuites pour des mauvaises raisons. Il y a en effet cette envie de parler du quotidien, même si je parle beaucoup de relations dans mes chansons. »
Le premier EP « Sensibilité » arrive vite après la sortie de Pho, en 2021. Cinq titres chantés en marmonnant qui racontent ses déboires sentimentaux, des rêves brisés et ses soirées alcoolisées sous Jack Daniels au miel. Ses productions ressemblent à du collage musical, comme si plusieurs sections avaient été mises bout à bout pour former un tout. Un patchwork avec des styles, des couleurs et des ambiances différentes que l’on retrouve sur son premier album sorti le 10 juin. « Il n'y avait pas de direction globale. À la base, je voulais faire que des EPs mais le format star, c'est l'album. Ce qui lie les morceaux sur le disque, c'est que je fais tout moi-même. Je mixe aussi, et ça donne le côté cohérent et DIY. » Dit autrement : « C'est comme un réalisateur : il a des images dans la tête, mais il va passer plus de temps à dire aux autres ce qu'il veut que de le faire soi-même. Au bon d'un moment, tout était clair dans ma tête. Donc fallait que je me lance. »
Sur l’album, Mr Giscard parle du 93, du RER A (un point commun avec l’ancien président qui a inauguré le RER en 77), d’être paumé, de meufs, d'alcool et beaucoup de sa vie de banlieusard. C’est aussi ce qui fait son charme : une forme de naïveté et d’honnêteté très frontale, sans chercher à passer par quatre chemins pour dire ce qu’il a à dire. Une attitude que l’on retrouve dans sa manière très cash d’écrire. Ce qui donne des phrases comme « y’a que ma bite qui va de l’avant » ; « ken ta daronne je veux pas » ; « elle voulait de l’amour mais c’est mort » ou alors « encore une soirée qui coûte chère et qui pue la merde ». Certes, ce n’est pas de la grande poésie, juste les états d’âmes d’un jeune homme, racontés sans filtre Instagram. On lui pose une dernière question : « Tu ferais un bon président ? ». Sa réponse : « Oui, parce que je ne prendrais aucune décision. ». Au revoir, Mr Giscard.
Crédit photo : @Shelby Duncan