Avec "You Can't Kill Me", 070 Shake fait un check du coude à la pop

Signée sur le label de Kanye West, sollicitée par Madonna et collaboratrice de Christine & The Queens, 070 Shake, 24 ans, est-elle d'office promis à un avenir radieux ? Avec son deuxième album, « You Can't Kill Me », bercé de R&B et de synthés, l’Américaine prouve en tout cas son ambition, aucunement redevable à son entourage prestigieux.
  • À tous les New-yorkais qui pensent qu'il n'existe en dehors de Big Apple que des vies de second ordre, Danielle Balbuena sait répondre : en une mixtape (« The 070 Project: Chapter 1 »), publiée en 2016, l'Américaine est parvenue à s'attirer les faveurs de G.O.O.D. Music, le label de Kanye West et Pusha T, tout en mettant au point une musique qui emprunte sa grammaire au R&B, à l'emo-rap, à la pop, aux stupéfiants (cocaïne, Xanax, la jeune femme aime les expériences) et à la vie dans le New Jersey, d’où elle est originaire. Par fierté, elle se renomme même 070 Shake, un chiffre choisi en référence au code postal de sa région.

    Depuis, un certain nombre d’évènements sont venus acter sa singularité au sein du paysage musical mondial. À son rythme, sans se presser, mais avec toujours suffisamment de puissance et d’originalité pour convaincre : il y a eu un EP (« Glitter »), un album (« Modus Vivendi », 2020), un remix de Guilty Conscience par Tame Impala, une collaboration avec Madonna (Frozen), une autre avec Christine & The Queens (Body) et la participation à l’un des singles les plus fous de 2021, Neo Surf, aux côtés de GENERA8ION - l'entité formée par Surkin et le réalisateur Romain Gavras.

    L’erreur serait toutefois de croire que la musique de 070 Shake est un divertissement familial, bien propre et apte à être programmée sur le plateau d’une émission populaire, à une heure de grande audience. Ses clips débordent de noirceur, de sang et d’excès de violence. Ses morceaux renferment une profonde tristesse, osent les changements de tempo, les moments théâtraux. Ses différents comptes ont été supprimés des réseaux sociaux. Ses pochettes doivent autant à la science-fiction (celle de « Modus Vivendi » a été réalisée par Sam Spratt, à l'origine de celle de « Man On The Moon III » de Kid Cudi, dont elle est fan) qu'à la peinture baroque (« You Can't Kill Me »).

    Sur le papier, on a connu des intentions plus séductrices, plus conformes au grand raout de la pop music. 070 Shake le sait, elle l'assume (Be Myself ou Trust Nobody disent ses chansons), mais ça ne l'empêche pas de séduire, voire même de se rêver un jour en Freddy Mercury de sa génération.

    Au cas où le monde des humains ne serait pas encore prêt à recevoir ce déluge de synthés rétrofuturistes, ce chant langoureux et ces nombreuses curiosités sonores, 070 Shake pourra toujours se réfugier dans une réalité alternative, là où son deuxième album, « You Can't Kill Me », semble avoir été créé, aux côtés de Mike Dean (Frank Ocean, Kanye West, Jay-Z).

    Dans cette réalité, l'Américaine serait enfin acceptée pour son androgynie, les médias américains parleraient davantage de sa musique que de sa relation amoureuse avec Kelhani et des morceaux comme Web, History, véritable bijou de pop orchestrale, ou Se Fue La Luz seraient considéraient pour ce qu'ils sont : une sorte d'édifice pop et fantasque, à la fois accessible et vaguement perturbant. Comme toute bonne chanson se doit de l’être.

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